20 décembre 2023

 

Paul et Vanessa . Chapitre II. Nina/Florence .

 Quelques jours plus tard, il découvre dans son casier de la salle des professeurs un étrange billet. Ces infâmes boîtes aux lettres ne recueillent d'habitude que des notes de service ou des convocations à des réunions inutiles.Ce fut donc un énorme choc de lire d'une écriture manuscrite non signée " Poussin, je te veux "

Paul pensa évidemment pendant un court instant à Virginie.

Mais ce n'était pas du tout sa façon d'écrire ! Son écriture, Paul l'avait photographiée pour l'éternité ainsi que le texte, mot pour mot, de sa déclaration d'amour. 

Et une jeune fille de quinze ans ne dis pas " Je te veux ", c'est bien trop brutal et encore davantage de la part de l'être fragile qu'elle était. 

Le poussin, c'est elle !

Avec ma tronche de mammifère marin, qui donc peut s'adresser à moi en ces termes ?

Personne, ce ne peut donc être qu'une erreur de destinataire, les casiers sont tous identiques, les repères ne sont pas encore figés en ce début d'année, c'est une confusion de casier.

 De qui donc, avec ma gueule de dugong, pourrais-je bien être le bout de chou ?

Bon Dieu ! Mais c’est bien sûr !

Sardine! “

Pendant près d'un an, Paul l'avait évitée, ignorée, méprisée et puis soudain, sans préliminaires aucun, il se confie à elle. Et en outre, à  la fin de son entretien, il la remercie chaleureusement.

Cela a dû être un choc émotionnel intense qui l'aura secouée, ébranlée comme jamais .

Que diable alla-t-il faire dans cette galère ?

Et comment s'en extraire ?

Un doute subsistait. Au lycée La Bourdonnais, l'accès à  la salle des profs est réservé uniquement aux professeurs. Même la surveillante générale n'est pas autorisée à y pénétrer. Paul mena son enquête pendant tout le mois de septembre et se risqua à  échanger quelques mots régulièrement avec Sardine.

A la fin du mois, Paul était convaincu que Sardine n'était pas l'auteur du billet.

Mais alors, qui ?

Premier octobre; deuxième billet:

 "Poussin bleu, j'ai envie de toi . "

 Quelques jours plus tard, troisième court message toujours non signé :

"Poussin, réponds-moi ! "

Paul n'en pouvait plus.

Il avait déduit de ses investigations que le dépôt des billets avait très  probablement lieu après  les cours, qui se terminaient tous les jours à treize heure trente (cours de sept heure trente à  treize heure trente tous les jours et une seule pause à dix heures)

Paul décida de faire le guet tous les jours de treize heure trente à quatorze heure.

Le guet fut efficace. Quatre jours de surveillance suffiront à démasquer l'auteur des mystérieux messages coquins.

Nina, c'était Nina !

Nina était la prof de lettres de Virginie de l’année passée, celle qui avait demandé à ses élèves de lire pendant les vacances le roman de Bernardin de Saint-Pierre au succès mondial qui inspira les plus grands auteurs du XIXÈME siècle. Et qui fut, deux siècles plus tard, à l’origine d’une déferlante de moqueries de la part des sauvageons de la classe envers notre déjà fragile fille d’ambassadeur.

Nina était une métisse d'une beauté sublime, née d’un père bourguignon et d’une mère réunionnaise d'origine malgache. Elle pouvait, elle, se permettre d’utiliser le surnom gourmand « Poussin » pour désigner Paul car elle était l’aînée de Paul de cinq à six ans et elle avait déjà beaucoup voyagé avant de se fixer à Maurice où elle épousa un universitaire de renom .

Paul était résolu.  "Elle me veut, elle a envie de moi, elle m'aura. 

Moi, je n'ai plus vraiment d'envies, je ne la désire pas plus que cela.

Pas envie, encore moins besoin d'elle, mais après tout, elle a bien connu Virginie et cette source de renseignements n'a pas de prix ."

Et puis les femmes mariées, Paul les connaît bien, son expérience à  La Réunion fut formatrice, elles sont gentilles.

C'est la main tremblante que Paul déposa son billet-réponse dans le casier de Nina.

"Chère  Nina.Je suis à toi.

Si tel est ton désir, tu peux me rejoindre à  mon domicile, selon tes disponibilités, sans même me prévenir de l'heure de ton arrivée. Quand je ne suis pas au lycée, je suis le plus souvent chez moi, je travaille à  l'écriture d'un roman.

Voici mon adresse:

 Dodos street Beau Bassin.

A très bientôt . 

Poussin."

Premier contact au 9, Avenue des Dodos .

Quinze octobre, quinze heures. On sonne à la porte.

Paul découvre une Nina plus resplendissante et aussi plus aguichante qu’au lycée dans une tenue il est vrai très légère .

Après un long baiser amoureux à son hôte, Nina annonce d’emblée :

 " Poussin, je n’ai hélas pas beaucoup de temps aujourd’hui, Jean-Jacques termine son cours à Réduit dans une heure "

Fatale erreur !

Paul réplique violemment:

« Nina, tu es irrésistible, tu le sais, tu es la bienvenue ici à n’importe quelle heure de la journée ou du soir mais à une condition: Tu ne me parles jamais de ton époux, je ne veux même pas connaître son prénom !  »

Nina repart sur le champ, les larmes aux yeux, en balbutiant:

 " Pardonne-moi, poussin, pardonne-moi."

Paul ne la retient pas.

Un mois passe. Le casier de Paul reste vide et Nina n’apparaît plus (physiquement) en salle des professeurs. Elle était donc beaucoup plus fragile que Paul ne l’avait imaginé.Une fois de plus, sa psychologie de professeur de chimie contraria les bonnes intentions de Paul. Il regrette l’impétuosité de sa réplique aux premiers mots de Nina à son domicile.

Mais finalement, il se résigne à cet état de fait. Il a en effet quelque peu souffert des aventures vécues avec des femmes mariées à La Réunion, ces femmes capables de mentir à leur époux et tout autant à leur amant ; elles sont gentilles certes, mais elles mentent ; elles mentent tendrement, elles mentent passionnément peut-être, par amour certainement, mais elles mentent.

La chaleur humide culmine en ce mois de décembre. L'été, Paul pense souvent aux bains de forêt de sapins dans les montagnes vosgiennes de son enfance.

Un jour ramassage des jaunottes, un autre cueillette des brimbelles, l'air était pur et sec et les plaisirs plus sains dans les Vosges. Les idées plus claires aussi. Ici, certains jours d'été, même les neurones sont humides.

Poussin bleu; et pourquoi bleu ?

Dix décembre.

« Poussin bleu:

Demain matin, je serai complètement célibataire, libre tout entière pour trois mois au moins. Je ne peux pas te dire pourquoi car je tiens à respecter scrupuleusement la condition que tu m’a suggérée lors de notre courte entrevue dans ton nid de l’Avenue des Dodos. Je ferai ce que tu désireras.

Réponds-moi, je t’en supplie !  »

Paul n’en croit pas ses yeux et reste complètement hagard pendant trois bonnes minutes.

 Que puis-je lui dire dans ma réponse ? Je la connais si peu.

Et ce  " réponds-moi, je t’en supplie " , les mots de Virginie .

Paul décide, en guise de réponse, de glisser un double de la clef de son appartement dans le casier de Nina, ce qu’il fit dès le lendemain.

Les vacances (trois semaines à Noël) commençaient le 19 décembre cette année-là. Mais Nina frappa à la porte dès le début du week-end, le treize décembre en début de soirée et invita Paul dans le meilleur restaurant de l'île, situé à Trou-aux-Biches ( les noms de lieux à Maurice sont singuliers)

Un pur moment de magie et de rêve que ce dîner aux milles couleurs et saveurs, la cuisine mauricienne n'a rien à envier à  la cuisine vosgienne.

A la fin du repas fort arrosé, Paul, désinhibé par l'alcool, se risqua à poser deux questions : Pourquoi Nina ne signait pas ses billets ?

- Je savais bien que c'était inutile, poussin.

- À titre dérogatoire à notre contrat, où est ton époux ? 

- Il a obtenu un détachement à la jeune Université de Corse sur le site de Corte, qui cherchait un professeur de lettres chevronné pour instruire et former des enseignants vacataires. Contrat de trois mois éventuellement renouvelable.

Paul était tout à fait rassuré et presque euphorique, Nina était affranchie du joug du mariage.Elle allait pouvoir être  provisoirement mais totalement sa compagne. 

Une  nuit d'amour suivit le repas au restaurant.

Paul, qui avait trop bu, et malgré le parfum envoûtant de Nina, ne fut pas très performant. Mais Nina ne lui fit aucun reproche et semblait au contraire très satisfaite, trop heureuse d'avoir passé une nuit entière dans le nid douillet de son poussin de la rue des Dodos.

Le lendemain matin, elle rentra chez elle à Curepipe car il restait une semaine de cours à  préparer avant les vacances.

Le parfum de Nina qui était encore présent dans l'appartement, troubla Paul pendant toute la journée du dimanche, il le connaissait, il avait déjà respiré cette fragrance florale épicée qui était plus pour lui qu'un simple parfum.

Soudain, il se souvient : 

L'Air du Temps, de Nina Ricci .

Nina, Nina ... Nina Ricci.

Mais alors, Nina ne serait pas Nina comme Virginie n'était pas Vanessa ?

De qui Nina est-il le prénom ? De la parfumeuse ou de la parfumée ? 

Aujourd'hui, Paul n'a pas bu. Tout s'embrouille pourtant à nouveau dans son esprit. Nina connaît très bien Virginie, Paul en est certain.

 " Un jour je parviendrai à lui arracher des confidences, mais quand ?

Patienter, il me faudra patienter des semaines, des mois, je le sais.

Laisser le temps faire son œuvre.  " Il faut qu’on laisse du temps au temps. Personne ne passe du jour au lendemain des semailles aux récoltes " disait Cervantes ."

Paul aimait cette citation qu’il connaissait parmi quelques rares autres.

En littérature, Paul se sentait inculte.

Si on lui demande, à brûle-pourpoint, les romans français de la littérature moderne qu’il a préférés, il est tout juste capable d’en citer trois :

Le Rouge et le Noir, l’Étranger, la Promesse de l’aube.

(Si on le laisse réfléchir, il peut en ajouter quelques autres)

Mais qu’on ne questionne pas sur ce qu’il pense de l'œuvre de Jean-Paul Sartre ou de celle de Simone de Beauvoir, qu’il déteste, l’une comme l’autre.

"La Putain respectueuse", tout le monde connaît le titre, mais qui est capable de résumer le contenu de la pièce ?

Quant à Simone, son deuxième sexe et ses relations amoureuses avec certaines de ses élèves mineures… " On ne naît pas femme : on le devient" 

-Pff !

En entreprenant des études de sciences physiques, Paul a perdu son temps.

Si c’était à refaire, sans hésiter, il ferait des études littéraires.

Avec Nina, Paul espère bien combler une partie de ses lacunes.

Lundi matin, le dernier avant les vacances de l'été austral :

Nina réapparaît en salle des profs mais, motus et bouche cousue, prudence oblige, pas un mot adressé à  Paul devant les collègues, les commérages sont terribles au lycée La Bourdonnais, on continuera donc à communiquer par casier interposé.

Billet du jour:

"Poussin bleu, je passe à  Beau Bassin ce soir; pour la première semaine de vacances, j'ai réservé un bungalow pour cinq jours à l'île Sainte-Marie, au large de la côte est de Madagascar, je connais le propriétaire du lieu, c'est un français; bien sûr, je peux encore annuler, on en parle ce soir. J'ai envie de toi. À tout de suite, mon poussin."

Paul fut plus performant pour cette deuxième nuit d'amour.

Nina avait des pratiques curieuses selon lui, elle utilisait beaucoup sa langue,  mais Paul n'était pas plus expert dans ce domaine qu'il ne l'était en littérature . C'est magique répétait-t-elle sans cesse au moment de la pénétration. 

Pour Paul, l'amour n'était pas magique mais physique et chimique.

 Ce qui importait, c'était que Nina soit satisfaite et elle le fut.

Madagascar, île Sainte-Marie, pourquoi pas ? Si on lui avait demandé  son avis, Paul aurait préféré les montagnes suisses ou autrichiennes, c'est un peu plus loin certes mais tellement plus dépaysant. Les bains de forêt, l'écoute des arbres, Paul en rêve. Et puis, à  Madagascar, il va inéluctablement penser à  Virginie. Mais il n'a guère eu le choix, Nina s'est occupée de tout, a tout réglé .

Mardi matin au lycée. 

Paul est en très petite forme. Il n'est pas exclu qu'il sèche le lycée demain, les élèves sont déjà en mode vacances, Paul a horreur de ces périodes avant les congés pendant lesquelles les professeurs parlent dans le vide absolu.

Il faut qu'il prévienne Nina.  À  son tour de glisser un mot dans la boîte .

C'est alors qu'il constate avec stupeur que Nina ne s'appelle pas Nina mais Florence. Nina était seulement le prénom de la parfumeuse créatrice de l'Air du temps comme Paul l'avait imaginé un court instant sans y croire vraiment.

Vanessa s'appelle Virginie, Nina s'appelle Florence. 

Mercredi.

Très perturbé par sa découverte de la veille, Paul ne se rend pas au lycée.

Mais que lui a-t-il pris de fouiller le casier de Nina?

Sans cet acte déplacé, il n’aurait jamais connu la véritable identité de Nina et il s’en porterait bien mieux.

Il réfléchit, il rumine, il se remémore les propos de la surveillante générale :

« Aujourd’hui, changer de prénom est un droit même si c’est un acte non anodin pouvant engendrer des conséquences douloureuses.

Changer de prénom peut également faire partie d’un processus de guérison. Être reconnu par son entourage sous un autre prénom peut permettre à la personne ayant vécu des traumatismes de se défaire de ce passé .  »

 Virginie et Florence ont toutes les deux changé de prénom.

Toutes les deux ont terminé un billet par la même prière, la même imploration:

« Réponds-moi, je t’en supplie !  »

Troublantes coïncidences ? Paul n’y croit pas. Il y a un mystère à percer.

Lors des trois derniers jours avant les vacances, Nina passa une seule nuit rue des Dodos, qui la satisfit comme les précédentes. Paul évita soigneusement tout sujet de conversation qui pût  compromettre la sérénité des préparatifs de leur séjour à l’île Sainte-Marie.

Parler de Virginie à Nina est totalement exclu pendant les présentes vacances, il essaiera de parler littérature; la rédaction du roman qu’il avait commencé à écrire avant de connaître Nina a été interrompue mais il n’est pas question non plus qu’il aborde ce sujet avec elle. Presque tout premier roman a quelque chose d’autobiographique, lui a confié Nina.

Et s’il ne parvient pas à parler littérature, il parlera de la nature, des majestueuses baleines à bosse, du cimetière des pirates, des fonds-marins, des villages de pêcheurs, des lémuriens ou des orchidées, il y a beaucoup de choses à découvrir à l’île Sainte-Marie. Ou alors, il ne parlera pas.

Cinq jours et cinq nuits dans une crique ravitaillée par les corbeaux ou les cormorans, quasiment coupée du monde, en compagnie d’une collègue, fût-elle très gentille, c’est une expérience totalement nouvelle pour Paul.

Paul a peur. Avion puis taxi-brousse, bateau et enfin tuk tuk, arriver jusqu’à destination fut plus long qu’un vol vers Paris, mais quel enchantement à l’arrivée !

Le site était fabuleux. Les quelques bungalows composant La Crique, nom du lieu où ils logeaient, étaient fermés pour cause de restauration, sauf le leur, bien sûr.

Ils étaient seuls, elle et lui, dans un décor de carte postale !

Seuls avec Jean-Paul, l’hôte, le boss, le patron du lieu, que Nina connaissait.

Nina était une bonne marcheuse, une cycliste infatigable et une excellente nageuse; le séjour fut beaucoup plus sportif que Paul ne l’avait imaginé.

Les trois premières nuits d'amour furent comme les précédentes, sans relief, en décalage total par rapport au cadre majestueux.

Des préliminaires qui s'éternisent, une voluptueuse lècherie de mère chatte, Nina était une grande marcheuse mais aussi une grande lécheuse.

Et toujours les mêmes mots qu'elle prononçait distinctement et de plus en plus fort au moment où on s'attend habituellement à des gémissements :

"C'est magique, c'est magique..."

Quatrième journée bien remplie sur l’île.

Pour l’observation de l’accouplement des baleines, que Nina avait programmée, ce fut l’échec .

Tous les ans, les baleines à bosse se donnent rendez-vous au large de la côte Ouest de l’île de Sainte-Marie. Elles viennent s’y reproduire et mettre bas pendant la saison des amours, entre les mois de juillet et octobre.En janvier, pas de coït pour les baleines, les baleines s’accouplent en hiver ! Nina a été mal informée . Elle devra se contenter d’observer Paul et sa tête de dugong.

Un peu frustrée, Nina loua une pirogue afin d’atteindre les baies et les criques les plus isolées de Sainte-Marie. Elle et Paul pagayèrent toute la journée, Paul surtout. Nina avait de bonnes jambes, elle était très efficace sur la pédale, beaucoup moins avec la pagaie.

Le soir venu, ils étaient, l’un comme l’autre, affamés, mais ils savaient qu’ils ne pourraient échapper à la langouste quotidienne. Langouste, crabe, ou crevettes tous les jours, matin, midi et soir, on finit par se lasser.

C’est Jean-Paul qui fait le service, il n’y a pas d’employé, Jean-Paul s’occupe de tout . Ce soir là, il avait un petit air malicieux en apportant le plat.

La question, qui s’adressait à Nina fut d’une rare brutalité, tellement inattendue et audacieuse qu’elle paralysa Nina pendant trente secondes:

 " En quoi est-ce magique ? " Osa Jean-Paul.

Nina répliqua avec un sourire contraint :

 " C’est un secret, c’est MON secret. "

Pendant la durée des travaux, Jean-Paul dormait le plus souvent chez un voisin et concurrent à quelques kilomètres, mais parfois sur un simple  lit de camp derrière le bar de La Crique et dans ce cas, il entendait les conversations les plus intimes de Nina et Paul qui se croyaient seuls .

Jean-Paul se contenta bien sûr de la réponse de Nina.

Jean-Paul s’était cru permis cette familiarité à la limite de la vulgarité parce qu’il avait bien connu Jean-Jacques, l’époux de Nina, à l’ENS rue d’Ulm, ils étaient de la même promo. Contrairement à Jean-Jacques, Jean-Paul avait préféré courir la gueuse plutôt que de commencer une thèse de doctorat pendant sa scolarité à Normale.

Quelques années plus tard, il le regrettait amèrement et demanda un congé à l’Éducation Nationale pour préparer, cette fois sérieusement, sa thèse.

Une jeune Malgache, native de Tamatave, rencontrée malencontreusement, l’entraîna alors dans une histoire invraisemblable, il fut drogué, ensorcelé,  "fanafoudé" comme ils disent. Un roman entier ne suffirait pas pour raconter cet engrenage qui le conduisit à démissionner de l’Education Nationale pour devenir hôtelier dans cette île sauvage, quasi inhabitée et d'accès difficile.

Dernier jour sur l’île avant le départ prévu en soirée. Nina décide de bon matin de rejoindre l’île aux Nattes, en pirogue.

L’île aux Nattes, située au Sud de Sainte-Marie est appelée ainsi car le nato permettait la fabrication des pirogues.( « Bois de natte » à la Réunion et Maurice également par télescopage du français natte et du malgache nato).

C’est Nina qui décide mais c’est Paul qui pagaie.

Et pourquoi cette attirance pour les endroits inaccessibles ou pour le moins d’accès difficile, pourquoi ce besoin irrépressible d’isolement ?

Paul aurait préféré marcher ou nager paisiblement, il craint tellement de manquer le bateau du retour et de devoir prolonger son séjour d’une semaine.

Langoustes, cigales de mer, camarons, matin, midi et soir pendant douze jours et toujours les mêmes mots prononcés à voix haute, à ce moment crucial où on attend de sa partenaire qu'elle gémisse sourdement, susurre amoureusement ou même reste coite, essayez et vous constaterez que ce n’est pas si magique.

Une cinquantaine de kilomètres aller et retour, même s’ils sont partis à six heures du matin, c’est trop, Paul a peur. Le bateau pour quitter l'île est à dix huit-heures . Pour un piroguier malgache, qui file en moyenne à une vitesse de 9 à 11 km/h et qui, en utilisant l’énergie des vagues et de la houle, peut friser les 25 km/h, c'est tout à fait faisable . Mais Paul n’est ni malgache, ni piroguier.

Il essaie de convaincre Nina que cette dernière sortie n’est pas raisonnable, mais Nina ne veut rien concéder .  " C’est tout à fait possible, mon poussin! "

Il aura fallu deux heures de négociations en mer pour que Nina se rende à l’évidence. Son projet d’aller et retour à l’île des Nattes était irréalisable. Paul et Nina retournèrent à leur bungalow pour un après-midi farniente à la plage décidé cette fois d’un commun accord.

Et Paul se décida enfin à oser aborder le sujet qui lui tenait tant à coeur .

« Tu te souviens, Nina, de cette élève un peu perturbée, qui a quitté le lycée prématurément, l’an passé sans aucune explication.

-Tu veux parler de Virginie, je présume ?

-Oui.

Le visage de Nina se transforma soudain et d’un ton dramatique et terrifiant, elle répliqua :

Paul, tu m’a posé une condition, sine qua non, à notre aventure, tu n’as pas oublié, n’est-ce pas ?

A mon tour maintenant: Si tu me reparles une seule fois de Virginie, notre histoire est finie, d’accord ?

Ébaubi, estomaqué, anéanti,  Paul n'eut pas la force de répondre. 

Le retour à Curepipe fut le plus long voyage de sa vie.

Douze heures de voyage, douze mots échangés.

"A bientôt !" lui dit-elle lorsqu'il enfourcha sa moto pour rejoindre Beau Bassin.

Paul ne répondit pas.

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10 décembre 2023

 

Paul et Vanessa : Chapitre I. Vanessa/Virginie. Le rendez-vous.

Vous êtes professeur, vous vous dirigez vers votre véhicule à la sortie des cours et vous découvrez sous l’essuie-glace un billet qui ne ressemble pas à une contravention. Et en effet, il s’agit d’une déclaration d’amour d’une de vos élèves avec rendez- vous pour le soir même. («Je t'aime, Paul, et toi ? Réponds-moi, je t'en supplie! Je serai ce soir sur le vieux port, pas loin du bar de la marine, tu me reconnaîtras facilement, je porterai une robe blanche »)

Vous rentrez chez vous et vous vous précipitez sur les fiches d’identité de vos élèves. Il s’agit bien de Vanessa. Elle a 14 ans et onze mois et le physique de Monica Bellucci.

Que faites-vous ?

Après avoir rangé soigneusement ses fiches d’identité, le professeur, torturé comme il ne l’a jamais été, se remémore le déroulé jour après jour de cette torride année scolaire. Il avait, en effet, fait exceptionnellement chaud cette année-là à Curepipe, ville pourtant réputée pour son climat idéal en été.

Vanessa était une élève sérieuse, jamais vraiment souriante, tout en retenue, très attentive en classe et qui obtenait pourtant des résultats très médiocres dans la discipline du professeur.

Cet après midi fut insoutenable et interminable. D’ordinaire, après sa petite sieste tropicale, le professeur se réveille frais comme un gardon et une nouvelle demi-journée commence, sans aucun souvenir de la matinée de cours qui précède (dans son établissement, on ne faisait cours que le matin de 7h à 13h)

Il se souvint tout à coup que la mère de Vanessa était venue spécialement de Madagascar, où elle résidait, pour la réunion parents-prof du premier trimestre et qu’elle avait demandé très courtoisement au professeur de bien vouloir donner des petits cours particuliers à sa fille qui était prête à se déplacer à mobylette jusqu’au domicile du professeur, le « chef » d’établissement refusant que des cours particuliers se tiennent au lycée La Bourdonnais.

Fidèle à son habitude, le professeur avait refusé : Pas de cours particuliers, quand bien-même la demande émanait de la fille de l’ambassadeur, c’était un principe intangible pour lui…

En ce début de soirée de l’hiver austral dans cette île magnifique de l’océan indien, le cerveau de Paul bouillonnait de culpabilité et de remords.

Pourquoi n’avait-il pas répondu favorablement à cette demande de cours particuliers, qui de toute évidence, n’était pas une demande ordinaire ?

Fallait-il être aveugle aussi pour ne pas avoir observé le repliement sur soi de Vanessa tout au long de l’année .

Mais Paul était un professeur sérieux et consciencieux totalement absorbé par la préparation de ses cours et la correction de ses copies.

"Je suis un salaud", se répétait-il en boucle ….

Dix-neuf heures sonnent à l’horloge. Il est encore temps d’enfourcher sa moto pour rejoindre Port-Louis.

Paul habite à mi-chemin entre Port-Louis et Curepipe, il lui faut à peine dix minutes pour rejoindre le port.

Que faire?

"Si je vais au rendez-vous, aurais-je la force mentale de résister à sa sensualité exacerbée ?

Cela n’est pas absolument certain et dans ce cas je suis un double salaud", conclut Paul.

"Si je n’y vais pas, j’abandonne une jeune adolescente en situation de détresse car sa déclaration ressemblait vraiment à un cri. En me défilant, je suis donc encore un double salaud"

Elle se faisait appeler Vanessa mais en réalité, son premier prénom était Virginie, Vanessa n’était que le second.

Paul l’a découvert en lisant et relisant sa fiche d’identité qu’il n’avait jamais lue auparavant.

(certains professeurs ne lisent jamais ces petites fiches de rentrée )

Il est vingt heures et Paul est toujours incapable de s’extraire de son dilemme cornélien.

Il a encore quelques dizaines de minutes devant lui mais pas plus, il sait que Vanessa n’attendra pas toute la nuit.

La moto est sortie, le moteur tourne au ralenti depuis bientôt un quart d’heure mais Paul reste prostré sur son canapé, effondré, le regard vide.

Vingt heures trente. Paul a éteint le moteur de sa Honda 750 four.

Il pense au suicide. Pas au sien, bien sûr mais à celui de son élève.

Les parents de Vanessa résident à Tananarive, Vanessa, seule à l’ile Maurice, est logée dans un internat ringard à Port-Louis; elle fait l’effort de subir quarante minutes d’autobus matin et soir pour aller au lycée, elle était prête à ajouter deux fois quinze minutes à mobylette pour se rendre au domicile de son professeur de physique et celui-ci ne bouge pas le petit doigt alors qu’elle l’a supplié de lui répondre.

Une adolescente de quinze ans peut-elle supporter cette charge psychique ?

Vingt et une heures.

Paul a pris sa décision.

La fraîcheur de la nuit tombante aidant, Paul s’est ressaisi et a écarté l’hypothèse du suicide.

"Quand on est en situation de détresse, quand on est désespéré, on ne déclare pas sa flamme et on ne fixe pas un rendez-vous."

Paul a rentré sa moto au garage, il n’ira pas au Vieux-Port ce soir.

Il espère revoir Vanessa en classe la semaine prochaine et il lui parlera après les cours.

Pas question évidemment d’avoir recours à un tiers quelconque, l’idée ne lui a même pas traversé l’esprit. D’ailleurs ce serait impossible, le Proviseur et son adjointe sont des nullités au plan humain, la surveillante générale, erreur de casting incroyable dans ce lycée qui scolarise l’élite sociale mauricienne, est une gauchiste aggravée dont les compétences au dialogue sont celles d’une truite pour la bicyclette.

Paul réglera le problème seul, comme il l’a toujours fait.

Le dimanche fut interminable. Certes, Paul était soulagé après  sa prise de décision in extremis samedi soir.

Hélas le répit fut de courte durée; il s’endormit comme une masse mais la nuit fut extrêmement courte.

" Que vais-je lui dire lundi à son retour ? 

Je ne peux pas lui dire qu’elle est trop jeune, je suis certain qu’elle me répondrait qu’elle est prête à attendre."

Quinze hypothèses de dialogue tournèrent en boucle dans son imagination de deux heures du matin jusqu’au petit jour sans qu’il puisse se rendormir.

Et cette humidité anormale pour la saison à Beau Bassin aggravait encore son calvaire.

Paul n’avait pas souhaité résider à Curepipe pour faire la coupure entre domicile et lieu de travail mais il le regrettait pour le climat privilégié de cette ville fondée par les colons français qui fuyaient Port-Louis atteint par la malaria (Curepipe tire son nom de l’activité des soldats napoléoniens, installés dans une garnison au sein de la ville avant la prise de l’île par les Britanniques en décembre 1810, dont l’une des principales occupations consistait à fumer la pipe et à la curer lorsqu’elle était bouchée; aucun rapport avec un quelconque geste érotique)

Dimanche soir, Paul s’interroge encore :

"Et si Vanessa décidait de ne pas revenir en classe lundi ?

Et si elle ne revenait plus du tout ?"

Paul regrette maintenant de ne pas avoir honoré le rendez-vous.

"Au diable la morale ! Dans l’île voisine, au lycée Leconte de Lisle à Saint-Denis de la Réunion, la majorité des jeunes profs célibataires hétérosexuels ont une liaison avec une élève de seconde, première ou terminale, tout le monde le sait et tout le monde s’en fiche.

Et Baudelaire ?

Dans son recueil le plus célèbre, « Les Fleurs du Mal », près d’un tiers des poèmes sont emplis de son voyage à La Réunion. Alors que Charles Baudelaire ne resta en tout et pour tout que 45 jours sur l’île. Et moi, professeur consciencieux et dévoué depuis bientôt quatre ans au lycée Labourdonnais, je perdrais le sommeil, je ruinerais ma santé pour une simple adolescente, fût-elle fille d’ambassadeur ?

Il faut que je me ressaisisse."

Elle était fille d'ambassadeur et la couleur de sa peau était blanche.

Paul connaissait bien les filles des îles de l'océan indien.

Avant d'obtenir un poste d'expatrié à  Curepipe, il avait travaillé un an comme auxiliaire à  La Réunion après son service militaire comme VAT( volontaire de l'aide technique)

Même  s'il passait une partie de son temps libre à  préparer son agrégation - on ne la donnait pas en 1976, il lui restait suffisamment d'énergie pour répondre aux attentes insistantes de son entourage féminin. 

Et quel entourage !

Une gradation continue de marron-foncé au mat clair presque blanc, avec parfois des tons rosés ou cuivrés; une telle variété de carnation dans un si petit territoire, c'est déstabilisant pour ne pas dire complètement dingue pour quelqu'un qui a passé  toute son enfance et son adolescence dans les montagnes vosgiennes .

Variété de couleurs de peau mais aussi très grande diversité culturelle et quel appétit sexuel pour le fonctionnaire métropolitain ! 

Paul, dont le physique était pourtant banal, était quasiment harcelé (non le terme n'est pas trop fort)  par ses collègues et parents d'élèves de l'autre sexe.

Pendant quelque temps, cette atmosphère lui convenait, lui plaisait presque, mais il s'en lassa, car il ne se sentait vraiment plus libre.

 Trop maladroit pour décourager une Réunionnaise  malgache ou malbaraise, il se sentait sombrer dans une sorte d'esclavage sexuel.

Quant aux sollicitations des élèves, Paul savait bien que c'était le statut de fonctionnaire zoreil (métropolitain en langue créole ) qui était convoité. Et Paul avait une morale. Une brève aventure traumatisante avec une de ses élèves en fin d'année scolaire l'avait décidé à quitter l'île  .

Son agrégation enfin en poche, il postula tous les ans pour obtenir un détachement dans un lycée français de l'étranger.

Il était prêt à accepter un poste en Afrique, l'important étant qu'il réussisse à s'extraire du bourbier sexuel réunionnais. 

Et le miracle eût lieu.

Paul obtint le poste très convoité de professeur au lycée français de Curepipe.

 Paul s'installa à l'île Maurice en septembre 1980. Pas question qu'il cherche à élire domicile à  Curepipe.

En allant acheter son escalope le soir en ville, Paul ne veut pas courir le risque de rencontrer une mère d'élève au physique ravageur  . Les prédatrices sexuelles, merci bien; Paul a déjà  beaucoup trop donné  à la Réunion.

Beau bassin, Bambous, Flic en Flac, les noms des villes sont plus sympathiques qu'à La Réunion. Les trajets ne sont pas un problème, Paul aura une voiture pour les jours de pluie et une moto, les salaires très confortables des expatriés dans les lycées français peuvent le lui permettre.

 Lundi matin. Le week-end le plus long de sa vie est enfin terminé. 

 Paul enfourche sa moto pour rejoindre le lycée, bien déterminé à parler à Vanessa après les cours.

 Hélas, ce qu'il avait imaginé se produisit: La place de Vanessa en classe était vide. Le lundi suivant, même scénario. 

 Paul ne revit jamais Vanessa .(L'administration du lycée a simplement communiqué à  l'ensemble des professeurs que Virginie avait mis fin à sa scolarité au lycée La Bourdonnais pour une raison inconnue.)

 Pendant la fin de l'année  scolaire, Paul mène une enquête  discrète auprès de ses collègues pour essayer d'en savoir plus sur la personnalité de Vanessa.

C'est ainsi qu'il apprend qu'au dernier trimestre de l'année  précédente , le professeur de lettres avait demandé à ses élèves de lire le romain de Bernardin de Saint Pierre que tout le monde connaît. Et au premier jour de l'année  en cours, quand les élèves ont découvert l'identité et le physique banal de leur professeur de sciences physiques (sa tête faisait penser à celle d'un mammifère marin vivant sur les littoraux de l'océan Indien) le plus pervers de la classe tourna son regard vers Virginie en lui demandant malicieusement: "Alors, c'est lui, Paul ?" Alors, alors…, c’est lui, Paul ?"

 Une bonne partie de la classe fut morte de rire. Paul qui ne comprenait pas et Virginie qui, elle, avait bien saisi la virulence de la moquerie, restèrent figés. 

C'est ce jour-là que Virginie décida de se faire appeler par son deuxième prénom, Vanessa, en prétendant que l'erreur administrative avait assez duré . Certains élèves l'appelleront Vanessa, d'autres ne changeront pas leur habitude. Débuta un imbroglio douloureux qui  poussa Virginie, qui n'était déjà pas très expansive, à se replier de plus en plus sur elle-même jusqu'à devenir froide et même taciturne.

Paul, qui était un enquêteur de la trempe de l'inspecteur Colombo, parvint à comprendre la lente mais irréversible descente aux enfers de Virginie, de plus en plus moquée par les éléments démoniaques de cette satanée classe de seconde.

Il réussit même l'exploit de recueillir les confidences de la surveillante générale (on ne disait pas CPE à  Curepipe) pourtant d'habitude aussi fermée qu'une huître fraîchement pêchée et que Paul avait affublée de l'horrible pseudonyme de Sardine .

Sardine, qui avait aidé ( probablement même incité) Virginie à changer de prénom, essaya de convaincre Paul qu'un tel changement est un long et pénible parcours mais que c'est un droit tout comme on aurait un jour - Sardine était une visionnaire, le droit de changer de sexe.

Sardine lui déroula une théorie, fumeuse selon Paul, prétendant que lorsqu'un enfant reçoit un prénom, ce dernier vient chargé de tout un ensemble d'attentes sociales, d'inférences et d'interactions. Il est probable que cet enfant soit traité en partant du postulat qu'il a déjà certains traits de caractère : une Virginie est une bonne élève; une Vanessa est une élève médiocre. 

"Et vous Paul, accepteriez-vous que votre fils Charles-Edouard se fasse appeler Théo ou Youssef, du jour au lendemain ?"

L'entretien que Paul avait obtenu de la surveillante générale lui avait finalement permis de retrouver un peu de sérénité. 

Virginie était perturbée, sa tentative de changement de prénom ne résolut rien, son rejet par certains élèves de la classe perdura. Paul n'était pas la cause des troubles de comportement de Virginie, la surveillante générale en était absolument convaincue. Paul qui jusque-là pensait que Sardine était une personne acariâtre et retors, révisa complètement son jugement.

Certes, politiquement, elle et lui étaient diamétralement opposés, mais elle n'était pas le monstre qu'il avait imaginé. Une fois de plus, il avait manqué de discernement et de psychologie, il était, il est vrai, professeur de sciences physiques, pas de science de l'âme .

Une semaine de vacances arriva et elle était bienvenue.

Paul en profita pour se plonger dans la lecture d'un roman érotique écrit sous pseudo par un jeune normalien agrégé de lettres modernes au style très  prometteur. Il dévora le roman en un jour et ce fut miraculeux. 

Paul était totalement rasséréné; à trente ans, il retrouva un sommeil d'enfant !

Septembre 1981: Cette rentrée scolaire, Paul la fit à reculons, il n'était pas parvenu à  rompre les ponts avec Curepipe pendant les vacances et le souvenir du regard perdu de Virginie, ce regard qu'il n'avait pas su analyser pendant sa présence, le hantait encore et  d'autant plus fort que la rentrée s'approchait.

"Faites fi du passé, lui avait dit la surveillante générale.

- Promis madame, avait-il répondu."



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