20 janvier 2024

 

Paul et vanessa. Chapitre IV. La fuite .

 Nina ne s'est jamais remise de l'humour du prof de physique.

Elle s'était pourtant totalement confiée, confessée à lui . Elle attendait de lui qu'il la prenne dans ses bras, qu'il la comprenne, qu'il l'absolve. La déception fut totale. Une profonde tristesse l'envahit, la chute, la déchéance, furent sévères. Elle arpenta la salle des profs avec une tête de pédophile repentie jusqu'à la fin de l'année scolaire. Et quand elle croisait Paul, elle détournait le regard. Non seulement elle ne se parfumait plus mais elle ne se maquillait plus, pire elle ne se lavait plus.

Pour les « grandes vacances », qui approchaient, Paul qui se sentait un peu coupable de la descente aux enfers de Nina, avait décidé de faire un gros effort pour faire oublier ses traits d’humour inappropriés et pathétiques. Il lui proposa de lui offrir une semaine à l’île de La Digue, aux Seychelles ; plages entourées de rochers granitiques, collines recouvertes de cocotiers, de lataniers et de takamakas, petites routes fréquentées par les vélos ou les chars à bœufs, Nina adorerait, Paul en était convaincu.

- Polo, tu connais l’emblème des Seychelles ? Tu crois vraiment que c’est aux Seychelles et son odieux symbole que j’oublierai mes crimes ?

Paul, qui ignorait tout du cocofesse, comprit qu’il avait encore gaffé, il crut se racheter en proposant cette fois un mois complet en Autriche.

- Mon pauvre Polo, sais-tu quel animal représente l’Autriche ?

Un aigle noir avec une langue rouge, Polo, un aigle noir, Polo !

L’aigle noir, métaphore d’un inceste, tu n’as pas autre chose dans tes cartons ?

Paul, un peu découragé, fit une ultime tentative en proposant à Nina un séjour dans les Vosges de son enfance. La réponse fut immédiate et assez déconcertante:

-Polo, je n’ai pas envie de sentir le sapin. 

Cette fois, Paul a enfin compris que Nina le rejette.

Pour éviter de paraître accuser le coup, il répliqua avec un trait d’humour encore plus percutant que le précédent :

- Je comprends Nina, mais je n’avais pas l’intention non plus de te faire sombrer dans la dendrophilie  » …

Ce deuxième essai d’humour spécial de Paul, Nina ne l’accepta pas. Cette fois, elle n’éclata pas en sanglots mais se mit à hurler et à insulter Paul avec une rare violence.

Paul prit la porte immédiatement et rentra chez lui sans répliquer .

Et après une nuit de sommeil plus ou moins réparateur, il reprit la lecture des ouvrages qu’il avait classés au premier rang de sa bibliothèque

Et d’abord « Éloge de la fuite » du médecin Henri Laborit .

Et cette fois, il surligne et mémorise ce cours extrait:

 "Se révolter, c’est courir à sa perte, car la révolte, si elle se réalise en groupe, retrouve aussitôt une échelle hiérarchique de soumission à l’intérieur du groupe, et la révolte, seule, aboutit rapidement à la soumission du révolté… Il ne reste plus que la fuite."

-Ce qui est vrai dans un groupe l’est probablement aussi dans une relation de couple, se dit Paul.

Je vais fuir, définitivement fuir.

Les vacances se passeront donc en solo dans les sentiers de randonnées des Vosges.

Paul choisit des sentiers peu fréquentés :

 « Le saut de la Bourrique » d’abord.

La légende liée au nom de cette cascade viendrait d’une bourrique qui appartenait à un seigneur. Rentrant de croisades, celui-ci se fit attaquer par des bandits; pour le protéger, l’animal se jeta sur eux au pied de la cascade où il périt avec les mécréants. Cette histoire de bourrique qui se sacrifie pour son maître avait plu à Paul.

  Hélas, hélas, malgré son choix de sentiers, Paul ne marche pas seul.

Il eût fallu pour cela partir en plein hiver .

Paul se résout donc à faire des rencontres.

Fatalitas ! Une jeune randonneuse qui s'attache obstinément à ses pas depuis plusieurs heures, lui apprend qu'elle est professeur !

-Enfer et damnation, serais-je condamné à vivre dans un cercle fermé ?"

Certes Jocelyne était moins sexy que Nina mais elle avait un avantage énorme, elle n'était pas prof de lettres. 

Paul n'avait connu que des profs de langues ou de lettres .

Jocelyne - oui le prénom n'est pas très séduisant non plus, est professeur de sciences naturelles.

-Les scientifiques mentent moins que les littéraires et en outre, ils reconnaissent beaucoup plus facilement leurs erreurs, Paul se laissa donc faire une fois de plus et la randonnée se termina au "Ptit Hôtel du Lac" à Gérardmer.

Le lendemain de cette nuit d'amour, Paul osa une question farfelue :

- Jocelyne, quand je te pénètre, est-ce magique ?"

-Pas du tout, c'est biologique ! " répondit-elle.

Paul fut pleinement satisfait et même rassuré par l'honnêteté de la réponse.

Après " Le saut de la Bourrique " où il avait involontairement séduit Jocelyne et "La cascade de la pissoire", balade au col du Donon. Avec Jocelyne, Paul pouvait exploiter ses connaissances et impressionner sa compagne.

En raison de l'élévation du Donon, les géomètres l'ont toujours utilisé comme point de triangulation, pour la mesure « de la perpendiculaire à la méridienne de l'observatoire de Paris », explique Paul. Jocelyne acquiesce en faisant semblant de s'intéresser aux mathématiques et à la physique, Paul sait bien que les profs de biologie ne comprennent rien aux mathématiques et il en abuse. Lors des conversations littéraires qu'il eût avec Nina, il était toujours mal à l'aise et parfois même humilié, cette fois, c'est lui qui domine.

Bref, cette semaine de randonnées pédestres, une balade et un coït biologique par jour avec sa nouvelle compagne conquise et dominée physiquement mais aussi intellectuellement, fut non seulement un régal mais une régénération, une renaissance .

Paul passe toutes ses vacances en compagnie de Jocelyne. Avec elle, il respire enfin, il peut se libérer, parler franc, ouvertement, sans filtre, laisser libre cours à son humour de prof de physique mal dégrossi, Jocelyne accepte tout.

Il récite les quelques extraits qu’il avait retenus de ses lectures sans même citer les auteurs, comme s’ils étaient de lui:

« Je veux tracer ma route, pour la détruire, ainsi, sans repos. je veux rompre ce que j’ai créé, pour créer d’autres choses, pour les rompre encore. C’est ce mouvement qui est le vrai mouvement de ma vie. »

La prof de sciences naturelles est admirative, mais Paul n’abuse pas de sa soumission, son joug est doux.

Paul est heureux.

Retour à Curepipe pour une nouvelle année scolaire.

Paul pense déjà aux prochaines vacances. Les sapins des Vosges ont des vertus médicinales et d'autres bienfaits indiscutables tout comme, par exemple, les professeurs de sciences naturelles rencontrés dans les sentiers, mais Paul n’est pas malade physiquement .

En revanche, pour assumer l’impuissance qu’il ne peut que ressentir face à sa médiocre vie de professeur de physique, Paul a besoin de mythe.

C’est décidé, ce sera la Corse et son fabuleux GR 20.

Seul bien sûr, Paul n’a besoin de personne.

La rentrée a lieu en août au lycée La Bourdonnais. En plein hiver austral, il fait presque froid ; certes ce n’est pas le climat des Vosges mais l’altitude à Curepipe est de 560 mètres tout de même.

Ce climat lui convient, Paul est prêt pour faire la connaissance de nouveaux élèves et pour affronter son ancienne collègue au prénom de chienne.

Et il est bien décidé à l’ignorer royalement, si par malheur, il était amené à la côtoyer en salle des professeurs ; les violentes insultes qu’elle a proférées à son égard avant les vacances ont laissé des traces indélébiles.

Cela ne se produisit pas. Nina avait à nouveau déserté la salle des professeurs .Paul retrouve donc sa sérénité en ce début d'année scolaire.

Il se hasarde même à dialoguer régulièrement avec la surveillante générale devenue de plus en plus sociable et aimable pour des raisons qui échappent à la logique du professeur de sciences physiques, lui qui, il y a à peine plus d'un an, la considérait comme une personne acariâtre et retors et qui l'avait affublée d'un horrible pseudonyme.

Elle lui faisait maintenant des confidences et Paul l'appelait par son prénom, Sandra. Ainsi, lors de leurs conversations, Sandra apprit incidemment à Paul que Nina n'était pas du tout agrégée comme elle le prétendait, mais une simple  contractuelle, une maîtresse auxiliaire, qui avait été recrutée à la faveur de l'intervention de son époux Jean-Jacques, très influent à l'île Maurice.

Nina était donc aussi une fieffée menteuse, une affabulatrice !

Sandra était une mine de renseignements, Paul la choya, la bichonna comme un enfant dans le seul but d'obtenir d'elle de plus en plus de confidences.

Elle lui confia que Jean-Jacques était très proche d'un ministre important du gouvernement mauricien- un de ses anciens étudiants, au point d'être dispensé des formalités de douane lorsqu'il arrivait à l'aéroport .

- Et qu'est-il devenu, le savez-vous ? " osa Paul.

-Oui, il a pris un congé de longue durée de l'Université de Maurice, à  mon avis, il ne reviendra pas et s'installera en Corse.

-Et sa dulcinée ? 

-Pff... Il s'en soucie comme de sa première chemise.

-Elle ne fait plus aucune apparition en salle des profs, je ne l'ai pas aperçue une seule fois depuis la rentrée, elle n'est pas malade, j'espère ?" 

Paul essaie de faire parler Sandra de Nina et il n'a pas besoin d'insister beaucoup.

-Comment, vous n'êtes pas au courant ? Elle a créé un club de théâtre qu'elle anime avec beaucoup d'énergie et en y consacrant tout son temps libre depuis la rentrée. Et ce club semble avoir beaucoup de succès, particulièrement chez les garçons du lycée.

-Ah bon, et pourquoi chez les garçons et pas chez les filles ?

-Je ne peux pas vous en dire plus pour le moment, je suis en train d'enquêter sur ce sujet  qui est un peu délicat.

Paul regrette maintenant d'avoir incité  Sandra à  parler de Nina. Cette histoire de club de théâtre le tracasse.

 -Mais pourquoi ne parviens-je pas à me débarrasser des souvenirs de cette aventure débile ? "Poussin bleu ! ", je ne pourrai donc jamais oublier cette appellation idiote ?

 "C'est magique, c'est magique! " quand vais-je chasser de ma mémoire ces mots absurdes prononcés  systématiquement lors de la pénétration ? 

 Et Paul récite encore une fois cet extrait de l'ouvrage " Le Livre des fuites " dont il a oublié le nom de l'auteur "Je veux tracer ma route, pour la détruire, ainsi, sans repos. je veux rompre ce que j'ai créé, pour créer d'autres choses, pour les rompre encore..."

 -Rompre, fuir, définitivement fuir. Il me faudra combien de temps encore ?

Pendant quelques semaines, Paul évite tout contact avec ses collègues du lycée, Sandra ne comprend pas mais elle en prend son parti, elle sait que les professeurs ont parfois des périodes difficiles.

Paul se consacre entièrement à ses élèves, il n'a jamais eu aucun problème d'autorité  avec ses classes, c'est un professeur très respecté. 

Il est vrai qu'il n'oublie pas, à chaque nouvelle année scolaire, de bien définir le contrat. 

-Je suis le professeur, vous êtes les élèves, nous ne sommes pas du tout égaux,  je pose les questions, vous essayez d'y apporter des réponses" , etc.

Les élèves aiment que les règles soient claires.

Aucun élève ne lui a jamais manqué de respect .

Mais il sait bien que cet isolement de ses collègues n'est pas tenable à long terme. Sandra a été très correcte envers moi, je ne peux pas me comporter ainsi, pas avec elle, se dit-il.


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10 janvier 2024

 

Paul et Vanessa . Chapitre III. La confession de Nina.

 Arrivé à son domicile au petit matin,  Paul se coucha et resta allongé toute la journée.

Le lendemain, Paul a pris sa décision. S'il ne peut parler de Virginie, Nina est sans grand intérêt. Il trouvera un autre chemin, mais il aura des nouvelles de Virginie. Il est de plus en plus convaincu que Nina en sait beaucoup sur elle, sa réaction violente à une simple question de sa part est éloquente.

Virginie a eu d'autres professeurs, tout espoir d'en savoir plus n'est pas perdu.

Nina pour Nina, non, nenni, nein, niet !

Pour renforcer sa détermination et éviter la tentation de revenir sur sa décision, Paul change la serrure de son appartement.

Bien qu'il ne fût pas franchement malade, Paul éprouvait le besoin de se remettre d'une fatigue morale assez sérieuse en pratiquant l'exercice physique qu'il préfère : La marche en montagne.

Pas facile dans une île dont le point culminant est à 820m d'altitude.

Au diable l'avarice, Paul décide de se payer une petite semaine à la Réunion, il a encore le temps avant la reprise qu'il appréhende tant.

 Piton des neiges, piton de la Fournaise, forêt de Bélouve, etc. Bien sûr les tamarins ne sont pas les sapins, rien ne remplacera les forêts des Vosges. 

 La Réunion n'est pas tout à fait la Corse non plus, mais pour une semaine, on a tout de même l'embarras du choix . À lui seul, le cirque de Mafate , le cirque le plus isolé et le plus sauvage de l’île compte plus de 30 circuits de randonnées de difficultés diverses.

 Marcher seul, ce n'est pas un problème pour Paul et puis en randonnée, on fait nécessairement des rencontres.

Cette semaine dans le cirque de Mafate fut salutaire. L'été n'est pas la meilleure période pour les randonnées sous les tropiques, les sentiers n'étaient pas très fréquentés, peu de rencontres donc, mais ce n'était pas le but recherché. 

La rentrée venue, Paul décide d'éviter la salle des professeurs pendant quelques semaines; surtout, ne pas ouvrir son casier, chat échaudé craint l'eau froide. Il consacre toute son énergie à dispenser ses cours et à corriger ses copies. Les discussions avec les collègues devant la machine à café ne lui manquent pas. La solitude ne lui pèse pas, il l'accepte car il sait bien que cet isolement est indispensable à sa stratégie.

Car Paul a une stratégie. Il s’est passé quelque chose entre Nina et Virginie, la violence de la réaction de Nina à la question de Paul ne peut s’expliquer autrement.

Virginie a fui, quitté le lycée en cours d’année; l’époux de Nina a accepté une mission pour un trimestre, renouvelable, en Corse, il a donc en quelque sorte fui son épouse.

"Je vais donc la fuir méticuleusement et magistralement moi aussi, bien qu’étant physiquement à quelques mètres d’elle, chaque jour que Dieu fait .

Laisser le temps faire son œuvre. « Il faut qu’on laisse du temps au temps. Personne ne passe du jour au lendemain des semailles aux récoltes  » disait Cervantes "

Paul adore cette citation.

Un mois passa sans que Paul posât un talon en salle des professeurs.

Paul, piètre lecteur repenti "J’ai gâché ma jeunesse en étudiant les sciences physiques" , disait-il souvent, est devenu féru de littérature.

Il harcèle les libraires de Curepipe à la recherche d'œuvres sur le thème de la fuite. Un roman ou essai par semaine, après les cours, c’est son rythme à présent.Et il prend des notes pour figer dans le marbre les extraits qu’il ne souhaite pas oublier.

Le livre des fuites ” - œuvre d’un franco-mauricien déjà couronné de succès et sans nul doute à l’avenir très prometteur, lui a dit le libraire, de Jean-Marie Gustave Le Clézio, sera la première lecture qu’il annotera soigneusement.

« Je veux tracer ma route, pour la détruire, ainsi, sans repos. je veux rompre ce que j’ai créé, pour créer d’autres choses, pour les rompre encore. C’est ce mouvement qui est le vrai mouvement de ma vie. »

Cet extrait, Paul le récite au lit tous les soirs, c’est moins toxique et plus efficace qu’un somnifère pour s’endormir.

Le deuxième ouvrage qu’il archivera précieusement en tout premier rang dans sa bibliothèque naissante, est l’oeuvre d’un chirurgien découvreur de plusieurs psychotropes et de techniques d’hibernation et d’anesthésie - cette présentation du libraire a convaincu Paul : « L’éloge de la fuite » d’Henri Laborit.

« Même en écarquillant les yeux, l’Homme ne voit rien. Il tâtonne en trébuchant sur le route obscure de la vie, dont il ne sait ni d’où elle vient, ni où elle va. Il est aussi angoissé qu’un enfant enfermé dans le noir. »

Deuxième extrait que Paul répète en boucle lorsqu'il pense à Virginie, le soir dans son lit.

Deuxième mois de stratégie d'évitement. 

Paul s'est fait sévèrement rappeler à l'ordre par son administration parce qu'il ne s'était pas rendu à une convocation à un conseil de classe déposée dans son casier. Il est donc contraint de faire quelques passages furtifs en salle des professeurs mais il attend pour cela un bon quart d'heure après la fin des cours et il hume, renifle avec insistance l'air ambiant avant d'ouvrir la porte; au moindre soupçon du parfum de Nina Ricci, il fait demi-tour illico presto. 

Un mois passa ainsi sans rencontrer le moindre collègue et Paul ne s'en portait que mieux. Les poignées de main en salle des professeurs ne lui manquent pas.

Début avril, trois semaines avant les vacances de Pâques. 

Paul ouvre son casier et découvre avec stupeur et tremblements un nouveau billet :

"Paul, j'ai besoin de toi. Réponds-moi s'il te plait. 

Passe chez moi quand tu peux, si tu le veux.

Je t'attends ."

Après un bon quart d'heure pour reprendre ses esprits, Paul essaie d'analyser froidement.

Trois lignes seulement, mais le ton n’est plus le même.

Et si on compare aux précédents billets, la différence est flagrante.

De "Poussin bleu ", on est passé  à "Paul."

Ce n'est plus " j'ai envie de toi " mais "j'ai besoin de toi",  ce qui est complètement différent.

Plus de supplication non plus, mais un simple vœu, une prière sans insistance.

Nina aurait-elle  changé ? 

Paul s'interroge…

Paul dépose un billet très froid dans le casier de Nina où il lui signifie qu'il lui est impossible de fréquenter une collègue qui refuse de parler de Virginie.

Réponse immédiate :

 "Tu pourras me poser n'importe quelle question, je m'efforcerai d'y répondre avec sincérité, de tout mon cœur." 

Florence (alias Nina)

 Nina la directive, Nina la dominatrice, est passée en mode soumission.

Elle signe son billet de son véritable prénom !"

Dans ce cas, la fuite n'a plus aucun sens.  D'autre part, ces dialogues par casiers interposés sont d'une puérilité qui lui est devenue insupportable. Paul cesse de s'interdire de fréquenter la salle des professeurs.

Il est résolu, revigoré, sa stratégie de l'évitement a été payante.

Première rencontre physique après trois mois de séparation.

Jean-Jacques (l'époux) a renouvelé son contrat à l'Université de Corte, Nina s'y attendait, Paul peut donc passer chez elle quand il le souhaite, ce qu'il fit dès le premier week-end d'avril. Nina, prévenue la veille, avait soigneusement décoré son appartement et préparé des mises en bouche traditionnelles, quelques accras, beignets d'aubergine et un boudin créole, accompagnées de son meilleur rhum arrangé, à la vanille de Madagascar.

Bises très sages pour l'accueil, Nina et Paul ne sont  pas parfaitement détendus. Trois mois d'éclipse, cela ne s'efface pas si vite. Les amuse-bouches et le rhum ne suffiront probablement pas.

Et effectivement, les questions délicates ne tarderont pas à venir, avec une certaine brutalité. L'alcool désinhibe mais pousse parfois aussi à se surestimer et à tenter des intimidations.

"C'est Virginie ou Nina que tu es venu voir ce soir ?

-Florence et Nina, Virginie et Vanessa, les quatre histoires m'intéressent d'une égale passion .

-D'accord, on commence par Florence ?

- Florence, née  à Dijon, père ingénieur, mère sans profession, mon frère Philippe est un grand scientifique, astrophysicien de renom ... Mais tout cela n'a aucun intérêt, non ?

-Si, si, cela m'intéresse, continue.

- Toute ma jeunesse est entièrement dévouée à ma scolarité et à mes études en Lorraine; un frère d'une immense culture, c'est lourd à porter. Après mon agrégation de lettres modernes  je suis affectée au lycée Chopin à Nancy, lycée pendant longtemps réservé aux jeunes filles .

Et c'est dans cet établissement attaché aux traditions-pour ne pas dire vieux jeu, que tout se complique ...

- A vingt trois ans, j'étais encore vierge,  j'avais tout sacrifié à mes études, mais maintenant que j'étais professeur titulaire, je comptais bien rattraper le temps perdu.

Premier jour en salle des profs du lycée Chopin : L'horreur absolue .

Uniquement des femmes et quelles femmes !

Une majorité de vieilles peaux ménopausées.

Dans les classes, des filles et encore des filles entourant un ou deux garçons , parfois trois. La mixité  était un concept pas encore entré dans les faits au lycée Chopin. Soyons honnête, j'avais pris prétexte de mes obligations d'étudiante consciencieuse pour fuir les hommes, parce que j'en avais peur.

Fatalitas ! Mes études terminées, je me retrouve dans un quasi couvent. Voilà,  Paul, je crois que j'en ai terminé,  en ce qui concerne Florence.

-Non, non, Nina,  je veux savoir ce qui s'est passé au lycée Chopin et ce qui t'a poussée  à changer de prénom.

-C'est très difficile pour moi d'en parler mais puisque tu insistes, tant pis pour toi.

J'ai essayé de me divertir en dehors du lycée mais sans succès. J'ai même participé aux 24 heures de la place Stan, preuve de ma bonne volonté ; pousser un char pendant vingt quatre heures en s'alcoolisant pour se donner du courage, quelle débilité ! Cette manifestation m'a dissuadée définitivement de fréquenter les étudiants. 

Ce qui devait fatalement arriver se produisit, je me suis liée avec ma collègue d'allemand, nouvellement nommée comme moi : Ma première relation intime fut homosexuelle !

Un mois plus tard, la moitié du lycée était au courant de mon homosexualité.  J'ai eu droit à un déluge de remarques homophobes et de regards assassins lancés par les vieilles peaux.

L'homosexualité était un crime abominable dans les années soixante dix au lycée  Chopin de Nancy. Peut-être parce que Chopin était homosexuel lui-même. Ces vieilles rombières savaient sans doute que le compositeur avait déclaré sa flamme à d'autres hommes, dans des lettres qui  ont disparu mystérieusement ou ont été volontairement mal traduites, le féminin remplaçant le masculin car personne ne devait savoir. Moi, Florence, je payais les perversités du héros national polonais ? Peut-être. 

Bref, c'est l'homophobie féroce de mon entourage qui m'a contrainte à fuir le lycée.

Et plus tard, à changer de prénom et pour que la fuite soit totale, à changer d'hémisphère!

Voilà, Paul, tu connais maintenant un petit peu mieux l'histoire de Florence et je ne t'en dirai pas plus, évoquer ce passé douloureux m'a épuisée, ne m'en veux pas, je souhaite dormir seule ce soir."

Une semaine passe ; Nina fait des apparitions furtives en salle des profs et échange seulement quelques mots avec Paul. Depuis leur séparation qu’elle n’avait pas désirée, elle n’est plus la même, elle ne se parfume plus .

Paul, bien sûr, aurait aimé en savoir plus sur la vie de Florence, Il aurait apprécié que Nina narre ses ébats avec sa collègue d’allemand; était-elle une grande lécheuse elle aussi ?

Paul ne le saura probablement jamais mais il comprend que Nina ne s’attarde pas sur le sujet, c’est une période douloureuse de sa vie qu’elle a voulu totalement oublier, il serait maladroit d’insister et d’autant plus que le sujet Vanessa n’a toujours pas été évoqué, l’origine et le mystère principal de cette intrigue, c’est Vanessa.

Samedi en salle des professeurs :

"Tu peux passer ce soir, Polo, j'essaierai de te parler de Virginie.

-D'accord, à ce soir Nina !

Polo, elle m'appelle Polo maintenant! Personne ne m'a jamais appelé Polo.

Cette fois, Paul n'arrive pas les mains vides : Bulles et parfum, l'Air du temps de Ricci, bien sûr. 

Le champagne fait son effet, Nina est détendue. Elle parle sans retenue.

"Virginie désirait des cours particuliers, sa mère avait fait le déplacement de Madagascar spécialement pour m'en faire la demande. 

Des demandes de cours particuliers en français, c'est assez rare. J'ai accepté bien sûr, Virginie se proposait de venir chez moi, je n'avais pas à me déplacer. 

Mais très vite, son attitude pendant les cours particuliers fut étrange...

Virginie ne semblait pas intéressée par la littérature, j'ai pourtant essayé des auteurs variés, aucun ne semblait captiver son attention.

 Toujours aussi peu bavarde, elle communiquait cependant, mais de façon non verbale. Ainsi, à chaque séance, elle rapprochait sa chaise de plus en plus, puis sur celle-ci, tout son corps, comme si elle désirait lire sur mon épaule. 

 Son regard aussi changeait; il était plus profond, ses yeux brillaient et il me semble même que ses pupilles étaient anormalement dilatées.

 Et quand elle prenait la parole-c'était rare mais cela arrivait, c'était toujours pour déplacer habilement le sujet de conversation,à partir de l'œuvre étudiée, afin de parler d'elle et de sa famille. J'appris ainsi que son père n'était plus ambassadeur, il avait été relevé de ses fonctions et il vivait maintenant avec une jeune Malgache qui l'avait plus ou moins ensorcelé, envoûté, d'après sa mère, qui, elle, s'était consolée dans les bras d'un employé du consulat; bref, ils vivaient séparés. 

 Elle me raconta aussi que ses parents, à Madagascar, l'avaient habituée depuis la petite enfance, à vivre poitrine nue à la maison pendant l'été, avant mais aussi après sa puberté et même lorsqu'il y avait des invités .

 Paul évite d'intervenir pour ne pas couper Nina dans son élan mais, à cette révélation, il ne peut se retenir : 

-Drôles de mœurs, en effet.

-Paul, tu sais bien que la révolution sexuelle de Mai 68 a généré un tourbillon d’abus et que les années soixante dix furent celles de la jouissance sans entraves.Tu as lu ce qu'a écrit Cohn Bendit sur la sexualité  des enfants ?

-On doit être totalement libre de son corps, disait l'ambassadeur à Virginie qui était réticente  à déambuler seins nus en présence d'invités. 

-Papa, ce n'est pas moi, mais eux que cela gêne, répondait l'adolescente.

Nina marque  une pause; elle semble être affectée après ces révélations des propos de Virginie. Paul regrette d'être intervenu.

-Polo, je crois que j'ai assez parlé pour aujourd'hui, allons nous coucher, tu dors chez toi ou chez moi ?

-Non, non, Nina, je veux en savoir davantage.

-Alors, descends à la cave, j'ai besoin d'un peu plus de Champagne pour continuer.

Quelques coupes de Champagne plus tard :

"Après trois mois de cours particuliers, il n'y a pas que le regard qui avait changé, Virginie était beaucoup plus à l'aise avec moi, elle s'était enhardie et je l'avais imprudemment autorisée à me tutoyer .

Un jour de grande chaleur, avec un aplomb incroyable, elle osa la question:

-Nina, il fait tellement chaud, cela ne te dérange pas si j'enlève mon tee-shirt, n'est-ce pas ?

Paul :

 - Et alors ?

-Une poitrine magnifique, parfaite, Polo.

Des seins ronds et très généreux mais pointant vers le haut, défiant la loi de la gravitation universelle, insultant la mécanique classique de Newton.

(Nina, maintenant parfaitement saoule, essaie d’adapter son vocabulaire au profil de Paul)

Paul :

-Et alors ?

-Une Barbie s'offre à toi, Polo, que fais-tu ?

Eh bien moi, j'ai complètement perdu la tête, je me suis jetée sur elle et je l'ai léchée,  les seins d'abord et longuement et puis je suis descendue plus bas, elle était consentante bien sûr, elle s'était complètement déshabillée.  

Et elle en avait un, qui fleurait la vanille de Madagascar.

Tu savais, Polo, que vanille et vagin avaient la même étymologie ?

Je ne t'en dirai pas davantage Paul, ce passé est trop lourd.

Voilà, tu as voulu savoir, tu es servi, comblé  :

Florence est une homosexuelle, Nina est une pédophile . 

-Pédophile doublée d'une prostituée, car tu as accepté un chèque pour ces cours particuliers " répondit Paul pensant détendre l'atmosphère par un trait d'humour.

-Rentre chez toi Paul, rentre chez toi !

 répliqua Nina en éclatant en sanglots.

Nina ne s'est jamais remise de l'humour du prof de physique.

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