20 janvier 2024

 

Paul et Vanessa . Chapitre VI. Sylvie .

  (Les deux premiers chapitres sont dans les archives de novembre 2023.Les chapitres suivants sont archivés chaque mois à raison de deux par mois.)

Énorme coup de chance, Paul obtint sa réintégration en France à Gérardmer, ville qu’il avait placée en première position de ses vœux, sans y croire .

Ski en hiver, randonnée dans les sentiers au printemps.

"Ah, le saut de la Bourrique ! des lacs pour les chaudes journées de l’été, l’air pur des Vosges et surtout, surtout, la probité des Vosgiens et des Vosgiennes, une renaissance !"

Et effectivement, Paul rajeunit après son retour en France.

Il épousa une jeune professeur de mathématiques, ce dont il rêvait, les sciences dures et leurs disciples ne mentent pas, ne trichent pas, pensait-il.

Il fonda une famille et retrouva enfin l’équilibre et la sérénité qu’il avait perdus lors de son séjour dans ces îles de l’océan indien.

Il oublia tout de ces quelques années perturbantes.

Enfin, presque tout…

Presque quarante ans plus tard, en effet, il se souvient encore, mot pour mot, de ce message d’amour que la petite Virginie avait déposé sous l’essuie-glace de sa voiture, un jour de fête locale:

 " Je t'aime, Paul. Et toi ? Réponds-moi, je t’en supplie ! ..."

Paul avait tout oublié, ou presque…


Vingt cinq août 2023 :

TV 5 Monde titre:

"Madagascar : drame à l'ouverture des Jeux des îles de l'océan."

"Au moins treize personnes sont mortes  devant le stade Barea d'Antananarivo au cours d'une bousculade lors de la cérémonie d'ouverture des onzièmes Jeux des îles de l'océan Indien ."

Curieux d'en savoir plus, Paul se connecte en " replay " à MBC, la chaîne de télévision publique nationale de l'Ile Maurice.

Bien mal lui en prit.

Un reportage montre le Président malgache et le Premier Ministre mauricien avec dans leur entourage une femme qui retient son attention.

Paul fait un "arrêt sur image " sur l'accompagnatrice.  

Et celle-ci ressemble étrangement, avec seulement quelques rides et stigmates de plus, à cette prof de lettres qu'il avait mis si longtemps à effacer de sa mémoire ! 

-A Maurice, elle m'avait collé à  la peau comme le sparadrap du capitaine Haddock, mais j'étais parvenu à m'en débarrasser, je l'avais même complètement oubliée et voilà qu'elle réapparaît, mais je m'en fiche complètement, je ne vais même pas en parler à Sylvie.

Paul avait presque tout raconté de son passé de célibataire tourmenté à son épouse Sylvie en qui il avait entièrement confiance et pour qui il avait beaucoup de respect, les professeurs de maths ne mentent pas, ne trichent pas, ils ont été formés pendant leurs études à la rigueur et à  l'honnêteté. Tout le contraire des politiques, cela ne m'étonne d'ailleurs pas que cette intrigante ait réussi à s'insérer dans le panier de crabes des politichiens de Maurice ou de Madagascar. A plus de soixante douze ans, pour grenouiller encore dans ce milieu corrompu, il faut être sérieusement atteint.

Paul, à la retraite depuis quatre ans maintenant, n'avait pas réussi à rompre totalement le lien avec l' Éducation Nationale. Une fois par semaine, pendant trois ans, il s'était rendu à Nancy au lycée Henri Poincaré pour faire passer quelques interrogations orales (khôlles) aux étudiants de la filière scientifique. Faire passer des khôlles, c'est tout de même plus noble que la politique malgache, mauricienne ou réunionnaise !

A soixante huit ans, Paul a cessé ses allers-retours hebdomadaires à Nancy et profite de son temps libre pour aller au cinéma.

Quand il n'est pas au cinéma ou dans son jardin à élaguer ses arbres, Paul écrit. Il a en effet repris la rédaction du roman qu'il avait commencée à Maurice il y a plus de quarante ans et qu'il avait interrompue, contraint et forcé, l'aventure tumultueuse avec sa collègue pédophile ayant absorbé toute son énergie et tué toute envie d'écrire.

En juin dernier, lors d'un festival du livre très fréquenté, Paul a pu discuter quelques minutes avec le directeur artistique du festival, qui choisit, collégialement dit-il, les auteurs présents et il lui a posé la question suivante:

Comment pouvez-vous faire venir des écrivains secondaires tels que Rosine Cachalot ou Solène Ducale et ne pas inviter des auteurs majeurs comme Jean-Paul B. ? ( Paul est un grand admirateur de Jean-Paul B.)

Le directeur artistique a bafouillé un peu puis il a fini son très court argumentaire par: 

"Si vous avez quelque chose à vendre, je vous invite"

C'est cette promesse qui a décidé Paul à reprendre la plume.

Mais Paul progresse lentement, son écriture est laborieuse, tout le contraire de son épouse Sylvie. C'est d'ailleurs le talent de Sylvie qui  "raconte" les mathématiques qui avait émerveillé Paul. Il se souvient encore de cette histoire, rapportée par des élèves, qui avait particulièrement attiré son attention

"Pliez une feuille de papier en deux. Elle est maintenant deux fois plus épaisse qu'auparavant. Pliez-la à nouveau en deux. Son épaisseur est désormais égale à quatre fois celle de la feuille dépliée. Continuez à plier cette feuille en deux. Eprouvez-vous, au bout d'un moment, quelques difficultés à la plier ? Vous pouvez essayer avec une feuille de papier plus grande, mais vous serez confronté au même problème.

Imaginez que vous ne soyez pas limité et que vous disposiez d'une gigantesque feuille de papier que vous pourriez plier 50 fois en deux. Quelle serait son épaisseur finale ?" 

Le résultat du calcul est absolument incroyable, plus de cent douze millions de km !

Sylvie avait intitulé son histoire "Voyage vers le soleil" . 

Paul fut séduit, fasciné par les qualités pédagogiques de Sylvie.


" I love you, Paul. Et toi ? Réponds-moi, je t’en supplie !

Je serai ce soir sur le vieux port, pas loin du bar de la marine, tu me reconnaîtras facilement dans la foule, j’aurai une robe blanche. »

En lisant ce message, j’ai immédiatement pensé à cette réflexion que j’avais lue peu de temps auparavant dans un roman de Guy de Maupassant:

« Il n’y a pas de bonheur comparable à la première pression des mains, quand l’une demande : « M’aimez-vous ? » et quand l’autre répond : « Oui, je t’aime. »

Ces quelques lignes sont les premières du roman de Paul.

Dans sa fiction, Paul honore le rendez-vous, il se rend au vieux port et rencontre Virginie qui l’attendait, tremblante dans sa robe blanche.

Le soir même, il la dévore, la croque comme un paraphile profond.

Paul parvient à écrire dix pages entièrement consacrées à la description de ses ébats avec Virginie.

Virginie avait un corps de femme mais une âme d’enfant. Quand elle enlevait son chemisier et qu’elle dévoilait ses seins généreux qui semblaient regarder vers le ciel, faisant fi de la loi de la gravitation, c’était une femme. Quand elle faisait entendre sa petite voix, c’était, les premières semaines de notre relation, un enfant. Mais l’enfant grandit très vite au fur et à mesure de notre découverte mutuelle. Au début très soumise, Virginie prit très rapidement de l’assurance, elle était devenue très joueuse et complètement décomplexée.

 " Popol, tu peux me sucer les sommets de mes sinus ?  " Voilà le genre de demande qu’elle formulait sans aucune pudeur. Je n’aurais jamais dû lui apprendre que l’étymologie de sein était sinus, elle retenait beaucoup mieux mes cours particuliers de français que ceux de physique.

Une autre phrase osée pour une jeune fille de quinze ans :

« Popol, avant toute chose, applique-toi à longuement lécher ma vanille !  »

- Ici encore, j’étais responsable de lui avoir imprudemment appris que vagin et vanille avaient la même étymologie. C’est Sylvie qui m’avait appris ces finesses de la langue. Sylvie, qui était très cultivée, faisait beaucoup de français dans ses cours de maths et elle m’avait confié que ses élèves adoraient cela. J’avais voulu vérifier avec Virginie.

Et effectivement, Virginie apprenait très vite à jouer avec les mots.

Popol était devenu mon surnom rigolo d’usage, mais son goût très douteux ne me faisait pas rire du tout. Bien sûr, ce n’était qu’un jeu, mais c’était elle qui jouait, pas moi.

Quel idiot étais-je d’avoir autant culpabilisé avant d’entreprendre cette relation que je pensais immorale parce que j’avais trente ans et elle quinze !

Plus tard, j’eus droit à d’autres surnoms intimes de mauvais goût :

Une semaine, c’était mon neuneu, la semaine suivante ma baguette, ma branche ou ma chandelle.

Je fus contraint de réagir en lui disant clairement et d’un ton furieux que j’en avais assez qu’elle me réduise à une fine appellation (Sylvie, comme le sont souvent les profs de maths était experte en contrepèterie, elle en connaissait des centaines et j’en avais retenu quelques unes)

Sa réponse fut sidérante :  " Paul, tu t’affines ? "

J’en suis resté abasourdi, paralysé, pétri d’admiration. Moi qui espérais marquer un point avec cette note d’humour, je suis vaincu par K.O.

Non seulement elle a tout de suite déchiffré la contrepèterie, mais la pertinence et la fulgurance de sa répartie parfaitement adaptée au contexte sont impressionnantes.

Ainsi donc, mon élève, introvertie en classe et médiocre en sciences physiques serait, à quinze ans, une experte en jeux de mots coquins.

Je la croyais candide, quelle mauvaise analyse de ma part, le naïf, c’était moi !

Virginie était de plus en plus dominatrice, j'étais devenu son jouet.

Elle aimait prendre le contrôle du déroulé du rapport sexuel. Je me soumettais volontiers à ses directives, je faisais tout pour lui faciliter la jouissance en privilégiant les positions ou les pratiques qui lui permettaient de prendre plus de plaisir. 

C'était une équilibriste (excepté toutefois lorsque l'équilibre concernait une équation chimique d'oxydo-réduction )

Liane, antilope, petit-pont, j'ai eu droit à toutes les positions les plus acrobatiques et chaque semaine  une nouvelle contrepèterie pour m'encourager; parfois très osée: 

"Un buteur digne de ce nom recherche l’équilibre pour tirer", m'avait-elle murmuré un soir à l'oreille, avant de me tourner le dos.


Un mois s'est écoulé sans que Paul n'écrive une seule page.

" Elucubrer aussi laborieusement le récit des ébats que je n'ai pas connus, avec une nymphette que je n'ai pas eu le courage d'affronter, c'est malsain, cela relève du masochisme, un professeur retraité  devrait avoir des occupations plus positives, plus nobles. 

Un roman ne peut pas être complètement fictif et en outre, je ne suis pas un écrivain, je me suis encore fourvoyé, pourquoi me remémorerais-je indéfiniment cette période sombre de ma vie? Virginie, Nina, l'île Maurice, ont gâché ma jeunesse, c'est ainsi, mais c'est le passé. 

Pour occuper mon temps libre, il me faut voyager, découvrir de nouvelles régions, il y a tant de merveilles à découvrir en Europe."

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10 janvier 2024

 

Paul et Vanessa . Chapitre V . Les révélations de la surveillante générale.

 Paul salue donc à nouveau Sandra qui semble ravie, presque radieuse.Elle fait signe à Paul pour lui demander de s'approcher.

-Quand tu auras cinq minutes, tu peux passer me voir ? J'ai un peu progressé dans mon enquête au sujet de ta collègue préférée. 

-D'accord, demain à la pause de dix heures, ça te va ?

-Je crains que ce soit trop court, demain après les cours à treize heure trente, on sera plus libre.

-Très bien, tu as raison.

Et le lendemain, Sandra lui confia tout ce qu'elle avait appris au sujet du club de théâtre. 

La documentaliste, Josette, avait remarqué que les élèves inscrits au club de Nina fréquentaient la bibliothèque du lycée beaucoup plus souvent qu'auparavant.Et leurs recherches étaient vraiment très bizarres. Ils voulaient des extraits de la bible !

Ils ont demandé à Josette si elle avait dans ses cartons la vie et le destin d’Onan, le second fils de Juda . Jamais on ne lui avait fait une telle demande !

La documentaliste a bien sûr essayé habilement  d'en savoir plus et elle a fini par apprendre que la pièce étudiée au club s'intitulait "L'Éveil du printemps"

Difficile de se procurer l’ouvrage. Pas un seul exemplaire n'est disponible à la bibliothèque du lycée. Nina, qui a fait étudier la pièce à des ados de quatorze ou quinze ans a tout fait en catimini, bien sûr, elle est devenue experte dans la tromperie et le secret, avec sa mine de chattemite. Il aura fallu que Paul attende dix jours pour que l’oeuvre arrive enfin en librairie à Curepipe. Aussitôt dans ses mains, Paul se plonge dans la lecture du texte de Wedekind et il ne fut pas déçu, c’était bien ce qu’il redoutait.

Paul, n’en croit pas ses yeux. La pièce est d’une audace inouïe pour de jeunes élèves à peine sortis de l’enfance. On y parle des pulsions sexuelles des adolescents, d’avortement, d’amour homosexuel, de suicide, de viol et de mauvais traitements.

Sont mis en scène une simulation de masturbation, solo et collective, une scène de sadisme ou encore un baiser entre adolescents homosexuels.

Voilà ce que cette sotte offre à lire à des jeunes garçons inscrits à son club, c’est révoltant, il ne faut pas que ce crime reste impuni, se dit Paul horrifié.

Paul décide de lire de la poésie, lui qui, quand il étudiait les sciences physiques, avait toujours sottement négligé, voire méprisé toute forme de lyrisme et de romantisme, il le regrettait maintenant. Il avait tellement besoin de rêver pour s’extraire de la laideur et de la bassesse de certains de ses collègues.

Et c’est ainsi qu’il découvre, par un parfait hasard, un poème intitulé

« Les réparties de Nina »

Lui " Ta poitrine sur ma poitrine,

Hein ? nous irions,

Ayant de l’air plein la narine,

Aux frais rayons

Du bon matin bleu, qui vous baigne

Du vin de jour ?…

Quand tout le bois frissonnant saigne

Muet d’amour

….

Tu viendras, tu viendras, je t’aime !

Ce sera beau.

Tu viendras, n’est-ce pas, et même…

Elle. – Et mon bureau ? "

Ainsi, pour incarner la prosaïque et sotte jeune fille incapable de contempler le spectacle plein de vie, de sensualité de la nature en éveil, ne pensant qu’à son travail au bureau, Rimbaud a choisi le prénom de Nina !

Rimbaud est un génie !

Retour au lycée . Nouveau signe de Sandra.

-J'ai du nouveau, passe me voir après les cours!

- D'accord, à tout à l'heure.

Les nouvelles révélations furent insupportables .

Sandra confie à Paul que certains cours de théâtre par petits groupes de trois ou quatre élèves ont lieu au domicile privé de Nina et qu'il s'y passerait des scènes abjectes, innommables.

"Dans la pièce de Wedekind sont mis en scène des simulations de masturbation collective, tu le sais Paul?"

-Oui, c'est dégoûtant .

- Assieds-toi et cramponne-toi, ta collègue ferait jouer à son domicile de telles scènes à ses élèves, à cette différence près qu'il ne s'agit plus de simulation mais d'onanisme authentique et consommé, pour être claire, les élèves de ta collègue se masturberaient devant elle !

-Stop, stop, arrête, ne m'en dis pas plus ! hurle Paul en s'enfuyant.

Paul souffre, il est malheureux. 

Résumons, se dit-il :

En moins de deux ans, j'ai eu droit à une déclaration d'amour d'une élève perturbée  de moins de quinze ans, qui s'était totalement dénudée  devant sa prof de lettres, prête à bondir sur elle comme une lionne sur sa proie, ce qu'elle fit. Cette même prof de lettres m'a débauché en inondant mon casier de mots doux me suppliant de lui répondre et je me suis laissé prendre au piège au point d'accepter de passer une semaine avec elle dans une île perdue de Madagascar où j'ai fait une indigestion de crabes et de langoustes.

Cette détraquée, bisexuelle, manipulatrice, m'a finalement violemment insulté- en moins d'un an, je suis passé de "poussin bleu" à  "sale merdeux", il fallait oser, elle l'a fait.

Et j'apprends maintenant que cette malade mentale est une pédophile récidiviste qui s'adonne au voyeurisme auprès de jeunes élèves de quatorze ou quinze ans sur lesquels elle exerce une emprise de plus en plus perverse, le club de théâtre n'était qu'une manoeuvre trompeuse pour arriver à ses fins.

C'est trop difficile, c'est insupportable.

La situation s'aggrave.

Tous les mois, Sandra fait de nouvelles révélations à Paul  .

Ces faits rapportés de lubricité, de vice et de débauche passionnent la surveillante générale qui croit bien faire en informant Paul dès qu'elle est convaincue qu'il ne s'agit pas de simples rumeurs. Il est vrai qu'il y a peu, Paul avait chaleureusement remercié  Sandra pour ses confidences. Il lui est donc difficile aujourd'hui de lui dire que ce sujet, cette étude de cas,  ne l'intéresse plus du tout.

 De plus en plus de professeurs du lycée ont eu écho des frasques sexuelles de l'animatrice du club de théâtre. Combien savent et que savent-ils , Paul l'ignore et c'est justement cela qui est invivable pour lui car il se sent coupable d'avoir entretenu une liaison avec une perverse.

 C'est l'enfer.

 La poésie, les vacances  dans les sentiers de Corse ne suffiront pas à gommer la lourdeur de l'ambiance au lycée. 

 Paul a pris sa décision. Cela lui coûtera beaucoup d'argent car il était très bien payé comme le sont les détachés dans les lycées français, mais il ne renouvellera pas son contrat.

 Fuir, définitivement fuir.

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