15 mai 2024
Paul et Vanessa . Chapitre XIV . Saint Gilles Les Hauts
(Les deux premiers chapitres sont dans les archives de novembre 2023.
Les chapitres suivants sont archivés chaque mois à raison de deux par mois.)
Les grandes vacances se sont déroulées tranquillement en suivant le programme établi par Paul. Le départ pour rencontrer Virginie s'approche, Paul fait de gros efforts pour ne laisser transparaître aucun signe de nervosité.
Jeudi dix sept octobre, vingt et une heure:
Départ de la Diagonale des Fous et atterrissage concomitant de Paul à l'aéroport Roland Garros. Après douze heures de vol et une heure de taxi, Paul arrive chez Virginie à Saint Gilles les Hauts. Virginie l'accueille courtoisement en affirmant poliment qu'elle le reconnaît très bien et qu'elle est enchantée de sa visite .
Paul est très troublé. Virginie était une adolescente réservée, repliée sur elle-même, fragile, elle est maintenant une femme aux allures bourgeoises, très sûre d'elle, intimidante, un peu maniérée aussi.
Elle est toujours très belle mais Paul n'avait pas imaginé qu'elle eût à ce point changé.
"Je peux vous conduire tout de suite dans votre chambre, nous passerons à table quand vous serez installé, la cuisinière a préparé un cari bichiques.
-Oui merci, j’ai le temps de prendre une douche ?
-Bien sûr, ces voyages dans la bétaillère d’Air France sont devenus une telle épreuve, même en classe affaires, un long bain est indispensable pour vous dépolluer, prenez votre temps, l’employée a sa chambre dans la maison, il n’y a pas d’horaires ici. Nous aurons tout loisir de nous entretenir demain quand vous serez reposé.
On se tutoie, Paul ?
Les bichiques, le « caviar péi « , comme disent les natifs, étaient excellents ainsi que le rosé de Corse.
Mais Virginie resta assez distante ce premier soir et Paul, fatigué par le voyage, fut très discret et réservé lui aussi.
Le lendemain matin, au réveil, Paul fut ébloui par la somptuosité des lieux et impressionné quand, en ouvrant la fenêtre, il découvrit l’étendue du terrain au fond duquel il aperçut une sorte de baraquement en bois qui ressemblait à un box pour chevaux.
Au petit déjeuner qu’il prit en tête à tête avec Virginie, il se risqua à évoquer avec prudence les années mauriciennes et cette fois Virginie ne se déroba pas du tout, au contraire.
"Oui, j’étais follement amoureuse de toi, Paul, mais pour être parfaitement honnête, je recherchais aussi un adulte suffisamment sérieux et responsable, à qui je puisse confier mes secrets intimes et tu avais ce profil. J’étais sérieusement perturbée par ce que j’avais subi de la part d’une de tes collègues. Cela t’intéresse vraiment que je t’en parle ?
– Et comment! Tu sais Virginie, je m’étais bien rendu compte que tu n’étais pas très épanouie en classe, et après ma dérobade et ta disparition inattendue qui a suivi, je fus rongé de remords qui m’ont poursuivi pendant des années et qui resurgissent maintenant.
Cette collègue c’était ta prof de français, n’est-ce pas ?
– Comment le sais-tu ? Oui, c’était Florence Beauvau, les élèves l’appelaient “belle vache”.
Je vais être parfaitement franche, j’avais besoin d’amour mais aussi d’aide. Ma déclaration était aussi un cri de détresse. Et ce que je vais te raconter est assez triste et même un peu glauque, mais si tu insistes, je te le dois bien. Je vais t'en donner une version courte, car, quarante ans après les faits, ces souvenirs sont encore un peu douloureux et puis j'ai déjà évoqué tant de fois cet épisode angoissant de ma vie, à mon époux, à ma mère et même à ma fille.
"Ta fille, tu as une fille ?
-Oui, Monica, tu la verras demain, elle est allée voir son grand-père à Mada, elle revient cette nuit.
-Monica, tu l'as appelée Monica ?
-Oui, on m'a si souvent dit que je ressemblais à Monica Belluci que j'ai choisi ce prénom pour ma fille, ainsi Monica, ce ne serait plus moi, mais elle. Mais si tu m'interromps tout le temps, je ne vais pas y arriver, je te parlerai de ma famille après. Je peux commencer?
- Oui, pardon, je t'écoute.
Pour faire plaisir à ma mère, je prenais des cours particuliers avec cette prof qui voulait que je l’appelle Nina.
J’avais eu une éducation assez spéciale à Madagascar où mon père était ambassadeur de France, vingt ans après une indépendance qui fut source de vives déceptions, avec la perpétuation des pesanteurs coloniales et des inégalités. Nous vivions en cercle très fermé, dans un parfait entre-soi, ce qui explique sans doute un manque de maturité, une innocence, une rare candeur qui fut la cause d’un événement dramatique lors de ma scolarité à Maurice . Mes parents m’avaient habituée depuis la petite enfance, à vivre poitrine nue à la maison pendant l’été, y compris après ma puberté et tant pis si cela gênait affreusement les invités du corps diplomatique, au contraire, cela amusait ma mère qui était une grande farceuse.
J’insiste car c’est important, il était devenu très naturel pour moi de me balader les seins à l’air.
Et donc, c’est sans aucune intention malsaine que j’ai un jour demandé à cette prof de français d’enlever mon tee-shirt chez elle, pendant un cours particulier, un jour de grande chaleur.
Fatale erreur, ma naïveté, mon innocence enfantine, m’ont coûté très cher.
Cette détraquée, cette démente, s’est jetée sur moi, a pénétré mes orifices avec une violence et une barbarie inouïes, je te passe les détails, Paul…
J’ai heureusement réussi à lui mordre un sein jusqu’au sang et à m’enfuir.
C’était à deux semaines de la fin de l’année; après ce viol, car il s’agit bien de cela- les femmes violent aussi, je ne suis plus retournée au lycée cette année là, évidemment.
Paul, qui connaissait la version de l’événement selon Nina, n’en dit mot, bien entendu et demanda à Virginie de changer de sujet en s’excusant longuement de lui avoir demandé de parler de cette période de sa vie dont il ignorait la monstruosité.
"Oui, cessons de parler de cela, mais tu voulais savoir pourquoi j’étais une élève introvertie l’année suivante pendant tes cours et pourquoi cette déclaration.
Le naturel, la franchise, la bonté, la générosité, qui émanaient de ta personne, ton très léger accent vosgien, ton profil de dauphin aussi et la modulation basse et rassurante de ta voix d'acteur m’avaient réconcilié avec le genre humain et davantage encore, tant de candeur et de pureté m'avait conquise, j’étais littéralement subjuguée, envoûtée, je voulais m’offrir à toi. Voilà, tu sais."
Après ce récit éprouvant, Virginie interrogea Paul sur sa vie en " Métropole", le réprimanda d'être venu non accompagné de son épouse et lui résuma brièvement son propre parcours après sa scolarité à Maurice.
Baccalauréat à La Réunion, maîtrise de lettres modernes à l'Université d'Aix-Marseille, puis retour sous les tropiques et mariage avec un héritier d'un grand groupe commercial, hélas décédé il y a trois ans maintenant.
"Je vis donc maintenant, dans cette immense maison, seule avec ma fille Monica, les deux employées et Crin-pâle le cheval.
-Il me semblait bien avoir vu un box tout au fond de la propriété. Crin-pâle, c'est vraiment un drôle de nom pour un cheval .
-C'est Monica qui l'a baptisé ainsi.
- A ce sujet, je n'ai pas réussi à joindre Monica à Madagascar, elle rentre tard cette nuit.
Demain matin, s'il te plaît, Paul, tu n'ouvres pas les persiennes de ta chambre avant mon autorisation.
- Ah bon, pourquoi ?
- Monica a l'habitude de faire quelques tours de piste le matin au fond du terrain avec Crin-pâle, nous n'avons pas de manège couvert et il y a un petit problème.
- Quel problème ?
- Elle chevauche Crin-pâle, complètement nue. Je t'expliquerai.
Mon viol, j'ai dû le garder pour moi pendant des années. La rentrée qui a suivi l'agression au lycée La Bourdonnais fut bien sûr une épreuve redoutable. Silence total, omerta, je n'avais pas le choix. Demander un entretien au Proviseur pour me plaindre qu'une prof de français du lycée m'avait violée à la fin de l'année passée, m'exposait au risque de me retrouver dans la cellule psychiatrique de l'hôpital de Curepipe le soir même .
La suite de ma scolarité, je l'ai faite à La Réunion en croyant qu'en changeant d'île, je réussirais à tourner la page. Ce fut un peu plus long et difficile. A la naissance de ma fille cependant, les années Curepipe n'étaient plus qu'un lointain souvenir.
Dix sept ans plus tard, je me demande encore pourquoi et je le regrette amèrement, j'ai parlé du viol et de ma violeuse à Monica.
D'un jour à l'autre, son comportement a alors brutalement changé.
Monica était une jeune fille sage et conformiste, elle est soudainement devenue rebelle, révoltée et transgressive. Elle s'est mise à fréquenter les plus ravagés des indigénistes ou wokistes de l'île et elle a été gravement contaminée.
Et maintenant, tous les matins, elle monte à cheval complètement nue.
Crin-pâle s'en fiche et moi, je m'y suis habituée ainsi que les deux employées ; ici, dans la propriété, c'est sans conséquences, le terrain étant entourée d'un haie de filaos.
Mais elle randonne nue également .
Je t’ennuie, Paul, avec mes histoires ?
-Non, pas du tout, au contraire, c’est passionnant.
-D’accord, je continue .
Je sais bien que la » Randonue » sur les sentiers de Mafate et Cilaos est en plein développement, et qu’il existe déjà des gîtes naturistes aux Antilles, mais ici, à La Réunion, la « nudophobie » est encore vive.
J’ai d’ailleurs été convoquée à la gendarmerie, il y a un mois, leurs drones expérimentaux ayant identifié fortuitement Monica avec deux copines, nues dans la Plaine des Sables.
Même si la Plaine des Sables est un plateau désertique, complètement nu lui-même, uniquement couvert de scories, paysage lunaire à la beauté irréelle, il s’offre à la vue des conducteurs en contrebas d’un autre plateau et par conséquent, ces faits relèvent bel et bien d’une infraction pénale, m’ont-ils dit.
J’ai donc longuement parlé à Monica pour lui faire part de mon inquiétude et de mes interrogations au sujet de son comportement devenu si brutalement transgressif.
Ses réponses furent étonnantes, étranges, troublantes.
Monica m’a confiée que la narration de mon agression avait provoqué un choc psychologique chez elle . Elle est allée voir un psychiatre qui lui a parlé de transmission transgénérationnelle des traumatismes: On sait qu’une réplique d’un tremblement de terre peut se produire des années et parfois une dizaine d’années après la secousse originelle. Pour un viol, le processus serait semblable, le traumatisme psychologique peut sauter une génération et se répliquer sur la fille de la victime, vingt ans plus tard.
Cela est absurde bien sûr, mais Monica est persuadée de la validité de la théorie de ce psy. Voilà, demain, fais donc très attention quand tu t’adresseras à elle, pas de plaisanteries douteuses, Monica, bien qu’elle chevauche Crin-pâle nue, est une adolescente fragile et pure, comme je l’étais moi-même à son âge.
Parlons de toi, maintenant.
Et Paul parla brièvement de sa vie avec Sylvie à Gérardmer, en passant sous silence, évidemment, les difficultés qu’il avait rencontrées pour s’échapper trois jours en solo à La Réunion.
Virginie avait demandé à Paul de ne pas ouvrir les volets, mais avec des vantaux persiennés, à l’italienne, avec cadre inférieur relevable, Paul fut incapable de résister à la tentation.
Il entr’ouvrit discrètement les battants dès qu’il entendit le bruissement des pas de Crin-pâle et un spectacle inoubliable s’offrit à lui.
L’oscillation périodique du bassin de Monica en phase avec le déhanchement de Crin-pâle était une merveille, un enchantement, un miracle.
Oh, comme ces croupes étaient belles !
« Jeune femme nue sur cheval », étonnant que Courbet n’y ait pas pensé .
Paul resta figé, paralysé, pendant de longues minutes.
Monica souriait, elle était radieuse, épanouie, elle jubilait.
Premier repas en présence de Monica: La conversation avec elle ne fut pas facile; quand celle-ci apprit que Paul était un ancien prof de Virginie lors de ses années mauriciennes, Monica se replia complètement sur elle-même et ne dit plus aucun mot dès que fut prononcé le nom du lycée.
La thèse de la transmission transgénérationnelle du traumatisme émise par le psychiatre, que Virginie rejeta catégoriquement, n'est peut-être pas si absurde.
La Bourdonnais, Curepipe où Monica n'était pourtant jamais allée, semblaient être des noms démoniaques.
Pour changer de conversation et détendre l'atmosphère , Paul a failli interroger Monica sur sa pratique particulière de l'équitation : Équilibre, coordination, maîtrise du corps, monter à cru ne doit pas être facile, Paul avait la question au bout des lèvres et se ravisa in extremis; il était censé avoir gardé les volets clos et tout ignorer de la promenade matinale de Monica et il l'avait sottement oublié, quel niais !
C'eût été une gaffe monumentale, irréparable !
Dernier jour avant le retour de Paul. Celui-ci, ce matin, a gardé les volets clos.
Il aurait bien aimé, en tant qu’observateur physicien, admirer une nouvelle fois l’harmonie du balancement périodique de la croupe de Monica, mais Paul avait une morale et un homme sain, un Vosgien, n’est pas un voyeur. Une seule fois, c’est de la simple curiosité, pas du voyeurisme.
Au repas, Virginie confia à Paul qu’elle serait ravie qu’il revienne à La Réunion accompagné de son épouse pour un séjour plus long, plusieurs semaines sont nécessaires pour connaître un peu l’île.
Et Paul, bien sûr, invita Virginie et Monica à venir à Gérardmer pour découvrir les Vosges. Et la conversation s’orienta naturellement sur le sujet des sentiers de randonnée . Paul parla plus précisément d’une randonnée au départ de Gérardmer nommée “ Le Saut de la Bourrique “, dont il adore la légende qui lui donna son nom : Une bourrique, pour protéger son propriétaire attaqué par des bandits, se jeta sur eux au pied de la cascade où elle périt avec les mécréants.
Monica écouta Paul religieusement, avec un sourire béat d’admiration pendant le récit de la légende, rappelant à Paul l’attitude curieuse de sa mère quand elle buvait ses cours de Physique il y a presque quarante ans.
Monica était très belle et très sexy, comme l’était sa mère à son âge .
10 mai 2024
Paul et Vanessa . Chapitre XIII. Avant le départ .
Fin des vacances de Pâques. Sylvie a tenu sa promesse, elle est restée à Gérardmer. Mais elle n’a consulté ni médecin, ni psychanalyste, c’était un prétexte bien sûr pour rester seule. En revanche, elle a fait le ménage de fond en comble en s’attardant particulièrement sur l’ordinateur de Paul, bien rangé dans un placard.
Et elle a facilement découvert ce qu’elle cherchait: La correspondance entre Paul et Virginie. Ses soupçons étaient fondés, Paul lui a menti, ce n’est pas pour la " Diagonale des Fous " qu’il se rend à La Réunion. Sylvie est soulagée, elle se sent beaucoup plus légère maintenant, presque libérée.
Trois mails seulement et très courtois, elle s’attendait à pire .
Paul rentre demain, elle ne lui dira rien, évidemment.
Plus Virginie y pense, plus elle est rassérénée.
"Cette fille aux deux prénoms, qui avait traumatisé son début de carrière et qui revenait hanter ses nuits maintenant qu’il était à la retraite et que le naufrage s’approchait à grande vitesse, il m’en avait parlé, même si cela avait été très difficile. Il m’a aussi averti longtemps à l’avance de son projet de voyage à La Réunion en prétextant un motif farfelu que je n’ai jamais cru, bien sûr.
Enfin, cette correspondance par mail n’a pas été préméditée, elle a été largement improvisée et il n’avait probablement pas l’intention de me la cacher définitivement, preuve en est qu’il n’a même pas pris la peine de verrouiller son Mac avec un mot de passe. Pour moi l’énigme est résolue et je n’ai pas été trompée, ou si peu … Le pigeon, le cocu magnifique, ce n’est pas moi, c’est lui ! « Pigeon », c’est ça, je vais essayer de l’appeler « Pigeon » de temps à autre. Il a déjà eu droit à « Poussin bleu » , « Lapin » , « Pigeon » sera sa nouvelle fine appellation."
Retour de Paul.
Sylvie est gaie, enjouée, Paul est éreinté .
"Tu as bien fait de ne pas venir Sylvie, les trois premiers jours, les sentiers étaient très glissants, verglacés, et à 2700m d’altitude, il fait froid; de plus, les gîtes étaient mal chauffés. Tu ne vas pas me croire, la première nuit, j’ai rêvé que je faisais partie des troupes napoléoniennes lors de la Retraite de Russie. Et toi ? Ton analyse semble t’avoir particulièrement réussi, tu es rayonnante.
-Oh, je n’ai eu droit qu’à une séance écourtée, moins de cinq minutes, formalités comprises . Je te résume les questions:
"Comment s’est passée votre enfance au sein de votre famille ?"
J’ai répondu :" Très bien, aucun souci."
-Avez-vous déjà songé à vous auto-mutiler ? À mettre fin à vos jours ?
-Jamais.
-À quel point vous sentez-vous lié à votre entourage ?
-J’ai deux enfants adorables qui ont un travail et un époux que j’aime.
Il m’a répondu: « Je ne peux rien pour vous, n’oubliez pas de passer voir ma secrétaire avant de partir »
Les semaines passent, Sylvie a retrouvé sa sérénité et semble heureuse.
Paul est maintenant beaucoup moins certain de sa fidélité. Son épouse s’absente en effet toutes les fins de semaine pour aller, selon ses dires, travailler bénévolement à Épinal dans une association qui a pour but l’accompagnement et la défense des agriculteurs en situation de détresse .
« La femme n’est pas encore capable d’amitié: elle ne connaît que l’amour.”
Paul ne parvient pas à évacuer cette affirmation de Nietzsche qui revient de façon récurrente dans ses pensées. Mais il ne souhaite pas dépenser son énergie à enquêter.
Quand il a eu l’audace, une seule fois, de demander des précisions à Sylvie, il a eu droit à une violente leçon de morale:
“Comment, les guignols censés diriger l’Union européenne assassinent nos agriculteurs pour permettre, entre autres, de financer la guerre en Ukraine et toi, tu t’en laves les mains!
Tu es complice, Paul ! Sors de ta léthargie ! Moi, j’ai une morale, je ne peux rester les bras croisés, tu ne vas quand même pas me le reprocher?"
Paul a répliqué fermement :
“ Permets-moi de te dire, Sylvie, que j’ai autant conscience que toi que le monde entier va très mal. Toutes les guerres sont absurdes bien sûr, mais celle-ci me semble battre tous les records et les responsabilités des corrompus qui, depuis cinquante ans, nous rebattent les oreilles avec leur Europe qui devait nous apporter paix et richesse, sont énormes…
J’ai consacré trente cinq ans de ma vie à instruire des adolescents. Inlassablement, je me suis battu sans ménager ma peine, corps et âme, pour essayer de faire reculer les frontières de l’ignorance.
Hélas, l’obscurantisme, les croyances, la folie des hommes, la férocité du capitalisme «prédateur» et catalyseur de l’extrémisme religieux ont gagné la partie.
Aujourd’hui, je ne souhaite plus me battre."
Paul ne posera plus jamais une seule question sur les absences de Sylvie.
Paul est sombre. En semaine, Sylvie n'a rien à dire ou presque. Le vendredi soir, elle déserte le domicile, elle disparaît et revient le dimanche le sourire aux lèvres.
Paul se souvient du discours rhétorique qu'il avait tenu pour faire accepter sa très légère "escapade" à La Réunion :
"Aimer l'autre, cela devrait vouloir dire que l'on admet qu'il puisse penser, agir de façon non conforme à nos désirs " (pensée qu'il avait d'ailleurs empruntée à un auteur sans le citer, bien sûr )
Sylvie a bien retenu la leçon, elle me retourne l'argument, elle me teste sans doute...
Je tiendrai, il le faut.
Pour les grandes vacances, pas question de retourner à Saint-Malo évidemment, ce serait l'échec assuré, la magie de l'hôtel du Nouveau Monde ne peut opérer qu'une seule fois.
Il faut rompre complètement avec la Bretagne.
Pour commencer, Paul a pensé à un petit séjour dans les musées en Suisse, Sylvie s'est toujours intéressée à l'art et particulièrement à l'architecture et au design.
Campus Vitra, près de Bâle puis Fondation Beyeler toute proche, où sont exposées des œuvres de Monet, Cézanne, Van Gogh, Picasso, etc. Enfin Kunstmuseum de Bâle, l'un des musées d’art les plus renommés au monde.
Rien qu'à Bâle et ses environs, Sylvie a de quoi se régaler pendant plusieurs jours. Je suis certain que ma proposition va lui plaire.
Ce vendredi, Sylvie annonce à Paul qu’elle ne se rendra pas à Épinal pendant un mois au moins, un autre bénévole prend le relais.
“C’est une bonne nouvelle, je n’en pouvais plus que tu m’abandonnes ainsi, mais si cela doit recommencer dans un mois, ce n’est pas tenable, il faut qu’on se parle.
Et Paul se décide enfin – il s’était promis qu’il le ferait un jour mais ne parvenait pas à se décider, à révéler à Sylvie le véritable motif de son échappée à La Réunion.
A cette annonce, Sylvie ne peut s’empêcher d’esquisser un sourire narquois.
"Polo– elle l’appelle ainsi quand elle désire passer en mode caustique, tu ne m’apprends rien, j’en sais même plus que toi.
-Comment ça, comment ça ?
– Par un heureux hasard, j’ai lu tes mails et j’ai voulu en savoir plus, j’ai donc enquêté. Virginie a épousé une des plus grosses fortunes de l’île, tu le savais ?
– Je me fiche complètement de sa fortune et je ne veux même pas savoir avec qui elle vit, j’ai simplement besoin de parler un peu avec elle, il reste trop de mystère dans ces années mauriciennes et cela me pèse encore aujourd’hui, je t’en ai déjà parlé longuement, tu ne veux pas compatir, je ne te le reproche pas.
-Mais si, je te comprends, mon pigeon.
-C’est ça, je suis un pigeon et toi, tu es quoi ? Une poule qui mue, une poule qui rêve d’être palmée, une poule qui vit au champ ?
Sylvie, très atteinte, humiliée, sonnée par la violence des trois contrepèteries contenues dans la dernière réplique de Paul, caqueta toute la journée comme un gallinacé excité par la présence d’un renard.
Paul, le goupil, partit marcher calmement pour mieux se préparer mentalement à une nuit qu’il soupçonnait d’être particulièrement physique.
Et elle le fut.
Paul mit toute son énergie pour combler Sylvie.
Conscient que sa verge parabolique ne suffisait plus à la satisfaire, il consentit à revenir à des pratiques inhabituelles pour lui et redécouvrit le parfum et la saveur naturelle des chairs de sa compagne, qu’il n’avait plus humées ou goûtées depuis… un certain temps.
Et Sylvie en redemanda encore et encore.
Paul, qui, il y a quelques semaines, avait enduré et surmonté les difficultés du sentier enneigé du GR 52 dans la grande traversée du Mercantour, crut cette fois mourir d’épuisement.
Sylvie, apaisée, a maintenant complètement accepté que Paul se rende à La Réunion pour quelques jours; son comportement s'est normalisé. Paul, de son côté, s'est résigné à ce que sa compagne s'absente régulièrement en fin de semaine.