13 décembre 2007

 

Pisa 2007, la réaction du mathématicien Jean-Pierre Bourguignon.

Jean-Pierre Bourguignon * a été sollicité par le journal le Monde pour réagir aux résultats de l’évaluation PISA 2007. Son interview a été publiée dans le Monde du 4 décembre. Voici le texte, dans sa version intégrale, qu’il avait rédigé à cette intention.

La façon dont les résultats de la nouvelle livraison de l’enquête PISA sur les performances des collégiens et lycéens a été reprise jusqu’à ce jour par la presse écrite et parlée est assez caricaturale, comme si un classement extrait de ce genre d’études permettait de se dispenser de savoir ce qui est mesuré et comment c’est mesuré. Nous ne sommes pas en train de suivre l’évolution du championnat de France de football dont les règles sont connues de tout le monde (ou presque).

Les résultats globaux commentés jusque là concernent essentiellement les performances d’une classe d’âge. Il s’agit donc d’une information intéressante mais qui n’est pas la seule qui mérite d’être relevée.

Comme il était apparu lors d’un colloque organisé par la Société Mathématique de France avec son homologue finlandaise, les résultats remarquables que la Finlande aligne dans ces enquêtes sont fondés sur le choix délibéré de centrer les efforts du système éducatif primaire et secondaire sur l’assurance de ne laisser personne sur le chemin dans le cadre d’une société très homogène. Un tel effort réussi est certainement louable mais il y a un prix à payer pour obtenir cela, comme nous l’ont montré les collègues finlandais, à savoir une diminution considérable des ambitions de l’école.

Devant les récits des difficultés rencontrées en France par les enseignants les plus chevronnés dans leur travail quotidien, on est obligé de reconnaître que le système scolaire français ne réussit pas à monter tout le monde à un niveau convenable. De plus la société française est bien loin d’être homogène, et on peut craindre que, de ce point de vue, les écarts ne se soient récemment creusés encore. Ceci est d’autant plus inquiétant que la société technicienne dans laquelle nous vivons aujourd’hui, et continuerons à vivre demain, a besoin de citoyens ayant des repères clairs sur un certain nombre de questions et un esprit critique développé pour pouvoir réellement participer aux choix de société qui vont être à faire dans les années qui viennent. Des efforts considérables, prenant la mesure de l’ampleur du problème et l’analysant en profondeur, doivent être faits. J’aime vraiment le slogan « Vous trouvez que l’éducation coûte cher. Essayez l’ignorance. »

Cela ne suffit pourtant pas. En effet l’avant-dernière livraison de l’étude PISA avait montré que, si l’on « oublie » (ce qu’on n’a évidemment pas le droit de faire) les élèves qui ont vraiment décroché, les performances des élèves scolarisés en France, en mathématiques notamment, étaient au contraire assez remarquables. Il est donc important d’examiner si, dans cette livraison de l’évaluation, cette situation a évolué ou non.

Vu la désaffection marquée des générations actuelles d’étudiants vers les études scientifiques, phénomène qui, lui, concerne les lycéens plutôt performants dans ces matières mais n’est pas limité à la France, on peut le craindre. Une des raisons pour le craindre sérieusement est la diminution des heures d’enseignement scientifique qui a été mise en place ces dernières années, réduction dont les effets ne peuvent être que négatifs pour cette population-là. Et on parle d’ailleurs d’aller encore plus loin dans cette direction. Le pourcentage de réussite au baccalauréat ne peut tenir lieu de seul instrument de mesure de la performance d’une génération car il est indispensable de savoir quel contenu est ainsi couvert.

*Né en 1947, Jean-Pierre Bourguignon est ingénieur de l'École Polytechnique et docteur ès sciences mathématiques. Géomètre différentiel de formation, il s'est ensuite intéressé aux aspects mathématiques des théories physiques : spineurs et opérateurs de Dirac, relativité générale. Ses domaines de prédilection sont l'estimation géométrique des valeurs propres de l'opérateur de Laplace-Beltrami, la géométrie kählérienne et plus récemment la géométrie finslérienne. Directeur de recherche de classe exceptionnelle au CNRS, il est actuellement directeur de l'Institut des hautes études scientifiques à Bures-sur-Yvette et professeur de mathématiques d'exercice partiel à l'École Polytechnique. Depuis 1996, il est membre de l'Academia Europaea et depuis 2002 associé étranger de l'Académie Royale Espagnole.

Membre élu du comité national de la recherche scientifique à deux reprises, il a présidé la commission "Mathématiques et modèles mathématiques " de ce comité et siégé au conseil du département "Mathématiques et physique de base " et au Conseil scientifique du CNRS. Il a également dirigé de 1990 à 1994 le Centre de mathématiques de l'École Polytechnique. Il a été secrétaire de la commission des échanges et du développement de l'Union mathématique internationale de 1987 à 1990, président de 1990 à 1992 de la Société mathématique de France et président de 1995 à 1998 de la Société mathématique européenne. A l'étranger, il a été de 1994 à 2001, membre du Conseil scientifique du Mathematisches Forschungsinstitut d'Oberwolfach (Allemagne) et il est depuis 1997, membre du Conseil Scientifique de l'Institut Erwin Schrödinger de Vienne (Autriche). Depuis 1999, il est membre du Comité pour les Mathématiques du Fonds national de la recherche scientifique (Belgique) et depuis 2001, membre du Conseil scientifique de l'Institut Bernoulli à l'École Polytechnique Fédérale de Lausanne (Suisse).

Jean-Pierre Bourguignon a reçu la médaille de bronze du CNRS en 1977, puis en 1987, le prix Paul Langevin de l'Académie des Sciences de Paris et le prix du meilleur film pour l'enseignement et la recherche au festival international du film scientifique de Palaiseau pour "Tambour, que dis-tu ? " réalisé en collaboration avec Yves BAMBERGER et François TISSEYRE. En 1997, il s'est vu attribuer le prix du Rayonnement français pour les sciences physiques et mathématiques de l'Association pour le rayonnement français, géré par l'Académie des sciences de Paris.


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