03 avril 2008
Globalement meilleures élèves que les garçons, les filles hésitent pourtant encore à suivre des études scientifiques. Entretien avec Denis Guedj.
A l’école comme dans notre société inégalitaire, il y a une hiérarchie, et les maths sont utilisées pour la marquer. Elles jouent le rôle de l’excellence, de la distinction. Les sections scientifiques S sont présentées comme au-dessus des autres. Et comme nous sommes toujours dans une société d’hommes, les femmes y sont moins nombreuses. Dans la société, dans tout ce qui est trois étoiles, on trouve plus d’hommes que de femmes. Leur présence est même le signe de la dévalorisation d’une profession - comme pour les instituteurs. Il y a aussi les habitudes sociales. Les choses qui ont été ont tendance à continuer d’être.
Les tendances diminuent peu à peu jusqu’à s’inverser. Il y a déjà eu une nette évolution. Lorsque j’étais étudiant, dans les années 60, les classes de «mathélem» étaient composées à plus de 90 % d’hommes ; il n’y en a plus que 75 % dans les prépas scientifiques aujourd’hui. Autre tendance intéressante : on trouve de plus en plus de professeures de maths.
Les filles seraient-elles plus rebutées par cette discipline ?
Y a-t-il un sens à dire qu’un sexe est plus attiré par telle discipline, comme on dit que les hommes sont plus attirés par la guerre pour des raisons culturelles ? Dans le cerveau, il n’y a rien qui l’explique. On peut poser la différence des sexes pour tout : le foot, la musique, etc. Au-delà des facteurs sociopolitiques, on doit s’interroger sur la nature des maths. J’ai coutume de faire une différence entre les maths et les sciences - la physique, la chimie, la biologie, etc. Malgré leurs points communs, les maths sont à part car elles ne sont pas censées traiter de la réalité. Quand on fait des maths, on a recours exclusivement à l’écrit. Les autres disciplines passent, elles, par l’expérimentation. Elles ont une dimension pratique. On pourrait même dire qu’en faisant de la physique on fait un peu de cuisine, alors que les maths se rapprochent, elles, beaucoup de la philo. Peut-être qu’il y a là une dimension à prendre en compte. Deuxième différence : dans le raisonnement mathématique, la rigueur est poussée à l’extrême. Le statut de la vérité est particulier : ou c’est vrai, ou c’est faux. Vous démontrez quelque chose par les maths, qui ne peut être contredit que par les maths. Cela peut être ressenti comme de la violence, une forme de brutalité. C’est d’ailleurs tout à la gloire des maths : ce n’est pas une science molle qui peut être mise à toutes les sauces. Cela heurte beaucoup de gens qui détestent les maths. Cette violence est-elle plus ressentie par les filles ? C’est aussi une discipline très politique, qui permet d’argumenter et de réfuter quiconque vous assène des vérités.
A niveau égal en maths, les filles vont moins dans les filières scientifiques. Pourquoi ?
Ici, il ne s’agit pas des maths, mais d’une section considérée comme la voie d’excellence où la concurrence est forte. Tout le monde a-t-il envie d’aller en première S à Henri-IV ? On continue d’élever les garçons davantage dans un esprit de compétitivité. Mais les femmes y viendront, c’est en train d’évoluer. De la même façon, elles vont massivement dans des carrières sanitaires et sociales, et peu dans les écoles d’ingénieurs où l’esprit de compétition est plus fort.
Les filles auraient-elles une méfiance envers les maths ?
Ce serait paradoxal : c’est justement la discipline à laquelle on peut le plus se fier. En maths, il n’y a qu’une vérité : ce qui est vrai est toujours vrai. On ne négocie pas, on ne fait pas d’arrangements, on ne deale pas comme on le fait aujourd’hui avec les parents, avec les profs. Rien ne peut être établi qui ne soit démontré. Cela va à l’encontre du «tout est équivalent» ambiant. Cela peut-il expliquer une plus grande distance des filles ? Je pose la question sans avoir la réponse.
Propos recueillis par Véronique Soulé dans libération.fr
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